Gaelle Hubert – Hey Listen Blog d'actualités sur l'art. jeu, 15 Déc 2016 13:00:12 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.7 Mini Critique #12 – Des arbres à abattre /?p=2019 /?p=2019#respond Wed, 07 Dec 2016 13:27:10 +0000 /?p=2019 D’un roman de Thomas Bernardt, la pièce de Krystian Lupa invite à prendre part au monde artistique viennois…

Des arbres à abattre


De : Krystian Lupa

Dates : Du Mercredi 30 novembre au Dimanche 11 décembre 

Durée : 4h40 (entracte inclue)

Résumé : Adaptée du roman de Thomas Bernardt, la pièce de Krystian Lupa dresse le portrait de la société artistique viennoise des années 80.


Dans un salon cloisonné de verre se jouent les artifices d’un « dîner artistique ». Verre de vin ou cigarette à la main, les convives discutent de tout et surtout de rien. Leurs conversations en polonais ne sont qu’un brouhaha, qu’un décor sonore. A l’extérieur de ce cube, un homme incarnant l’auteur de la pièce lui-même décrit la situation, assis dans un fauteuil. Il n’aurait pas dû venir, il hait ces gens et ces gens le haïssent tous autant qu’ils se haïssent entre eux. Mais ils sont réunis pour honorer la mémoire de Joana, une amie artiste qui vient de se suicider. Les sujets de discussion se détournent très vite de la jeune défunte, et ce ne sont plus que des dialogues sourds qui brisent le lourd silence. Tous ont quelque chose à dire, un avis à donner, mais aucun d’entre eux ne fait preuve d’écoute.

Au cours de la pièce, les temporalités viennent se superposer avec fluidité grâce à la projection de vidéos, à l’intervention de voix et de personnages et aux changements d’espace. On assiste à quelques scènes purement oniriques qui viennent interroger les motifs profonds du suicide. Il semble finalement que la voie choisie par Joana soit la seule issue possible à la folie de cette société. En effet, tous ces artistes qui défilent sur scène sont à la fois poussés par la recherche de la gloire et rongés par des questions existentielles.

C’est une critique virulente de la société artistique viennoise des années 80 qu’expose Thomas Berhardt, auteur de la pièce. Il ne prétend pourtant attaquer personne, malgré la violence de ses propos. Il ne fait qu’écrire une réalité, la vérité crue explose d’elle-même. Krystian Lupa, le metteur en scène, figure d’honneur du festival d’Automne, dissèque ces âmes tourmentées en offrant un spectacle d’une esthétique exceptionnelle. Couleurs, lumières, musique : rien n’est laissé au hasard pour construire cette atmosphère si particulière et si captivante.

DONC ?!

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Pour apprécier les 4h40 de représentation, il est nécessaire d’être bien installé et d’avoir à l’esprit qu’un dîner artistique n’est pas qu’excitation et extravagance. C’est aussi un laboratoire de psychologie humaine, où les tensions se lisent dans les silences, les détails des postures et les nuances des expressions. Si l’on prend le spectacle dans sa globalité, il est d’une grande qualité et révèle l’engagement de son créateur pour l’amour pur de l’art et la liberté d’expression.

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Le tricot : symboliques de son utilisation dans l’art contemporain /?p=1980 /?p=1980#respond Fri, 25 Nov 2016 15:39:35 +0000 /?p=1980 Aujourd’hui, il est presque aussi tendance de se mettre à la « tricothérapie » qu’à la gym suédoise ou qu’à l’aquabiking. Et si les artistes étaient à l’origine de ce renouveau du tricot ?

Bien avant son introduction dans la création artistique contemporaine, le tricot est une activité manuelle de longue tradition. Classée dans les arts populaires, cette pratique largement répandue pendant des siècles a d’abord répondu à un besoin de se vêtir, de se réchauffer et d’habiller un intérieur. La laine est un matériau simple et économique que l’on peut remployer aisément dans un processus de création, déstructuration, restructuration. Si les objets tricotés attirent autant aujourd’hui, c’est que leur simplicité brute marque une opposition face aux matériaux industriels ou aux images virtuelles dont notre environnement est saturé.

Aurélie Mathigot, Cinderella, 2008.

Aurélie Mathigot, Cinderella, 2008.

Le terme de « largement répandue » reste à nuancer puisque l’on sait que le tricot a été et reste encore une pratique typiquement féminine. Celle-ci renvoie à quelque chose de maternel, à un univers d’amour et de protection. Elle évoque en conséquent la sédentarité qui a caractérisée la vie des femmes au foyer pendant des siècles. Confinées dans un environnement qui ne dépassait pas les murs de leur logis, ou au mieux les frontières de leur ville, les femmes étaient vouées à occupées leurs journées par des passes-temps comme celui-ci. Pour les enfants qui ont grandi avec cette manière de concevoir le quotidien d’une femme, le tricot les renvoie au cercle familial et à une certaine nostalgie.

Même s’il est tout à fait concevable de tricoter en solitaire, les adeptes de ce loisir (puisque de nos jours, il n’est plus question de besoin), ont tendance à se regrouper pour le pratiquer. Il suggère donc une idée de partage et de convivialité. On tricote en même temps qu’on parle, on tisse une conversation au rythme des aiguilles. Olga Boldyreff a bien compris l’universalité de cette occupation, qu’on retrouve dans presque toutes les cultures : « C’est un objet qui met en joie et entraîne une complicité immédiate avec les gens, hommes et femmes, de quelque origine qu’ils soient. » Il semblait donc naturel aux artistes d’inviter le tricot dans la rue, de le faire sortir des foyers pour créer du lien entre les passants et investir l’espace public qu’ils côtoient au quotidien.

Si la laine, par sa douceur et sa chaleur, apporte du réconfort, elle a aussi une connotation ludique et juvénile. Les premières images qui nous viennent à l’esprit sont souvent celles, vues dans les dessins animés, du chat désobéissant qui joue avec une pelote ou un pompon. Ces représentations tirées du monde de l’enfance renvoient à un imaginaire ludique et créatif. En effet, le tricot peut être employé pour fabriquer peluches, poupées et monstres, pour donner corps aux fantasmes de l’enfant.

Les artistes utilisent ce caractère à la fois innocent et moqueur de l’objet tricoté pour venir ridiculiser un monument, une image. Ainsi, ils dédramatisent des sujets sérieux ou sensibles comme peuvent le faire les enfants sans même s’en rendre compte.

Ishknits, statue de Frank Rizzo à Philadelphia, 2012. Photo : Conrad Benner (Streetsdept.com)

Ishknits, statue de Frank Rizzo à Philadelphia, 2012. Photo : Conrad Benner (Streetsdept.com)

Au-delà de ces différente symboliques, on peut attribuer au tricot une signification bien plus profonde. A l’heure où tout va vite, où le temps est précieux et compté, une simple pièce réalisée à la main est une métaphore du temps écoulé. L’artiste Knitorious Meg le dit : « Le temps passé à tricoter ou crocheter témoigne d’une réelle intention et d’un véritable engagement envers la pièce réalisée ». Dans cet engagement, on peut voir à la fois l’amour, l’attente et la quête d’un accomplissement. Puisqu’un ouvrage en tricot est quelque chose en construction dont la finalité nous est inconnue, il reste jusqu’au bout un objet indéterminé. La création, une fois mise en route, laisse encore mille possibilités de surprises et d’aboutissements. Il est en cela une métaphore presque existentielle.

Olga Boldyreff, Les devenirs, 2015. Photo : http://espacegred.fr/

Olga Boldyreff, Les devenirs, 2015. Photo : http://espacegred.fr/

Il est important de garder à l’esprit qu’un objet tricoté porte en lui une grande vulnérabilité. Lors de sa création, on peut facilement manquer une maille, ce qui serait soit une erreur irréversible, soit une faute à réparer. Il est aussi vite arrivé de briser, sans le vouloir, l’objet fini. Chaque maille est dépendante de l’autre. Si l’une d’entre elle se casse, c’est tout l’ouvrage qui se défait. Finalement, malgré son apparente solidité et sa symbolique protectrice, le tricot reste quelque chose de fragile dont la conservation est facilement menacée.

En utilisant cette technique traditionnelle mais originale pour notre époque, les artistes sont sûrs de raviver différents souvenirs et émotions chez les spectateurs. Maintenant, on a presque envie d’apprendre à manier les aiguilles nous-même…

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Age of Anxiety /?p=1960 /?p=1960#respond Fri, 25 Nov 2016 13:36:01 +0000 /?p=1960 « Il faut avoir du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse » disait Nietzsche. Pour les Etats-Unis, ce-dit chaos pourrait bien coïncider avec la période trouble que fut la Grande Dépression des années 1930. Qu’en est-il alors de l’ « étoile qui danse » ?

L’exposition qui se tient au musée de l’Orangerie nous prouve justement que l’anxiété peut se transformer en énergie créatrice. Au cœur de cet « age of anxiety » que sont les années 30, les artistes américains prennent différentes voies pour exprimer leurs craintes, leur rage ou leur soif de liberté.

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Edward Hopper (1882-1967), Gas (Station-service), 1940, Huile sur toile, 66.7 x 102.2 cm, New York, Museum of Modern Art (MoMA)

Ceux pour qui la Grande Dépression apparaît comme un déboussolement se lancent en quête de leur identité à travers celle de leur nation. Les paysages ruraux ou bétonnés qui constituent leur quotidien en disent beaucoup sur leur époque. Non loin des vastes étendues de champs s’élèvent des bâtisses grises, symboles du capitalisme qui s’effondre alors. Le paysage rural est à la fois évocateur de destruction, de désertion et de renouveau. Ces terrains vierges comme des toiles blanches apparaissent comme une opportunité de fonder les bases d’une nouvelle culture visuelle.

Alors que la foi des américains dans le capitalisme s’ébranle, ces derniers prônent un retour à la terre et aux valeurs traditionnelles. Le thème de la vie paysanne, qui séduit par son aspect brut et authentique, est omniprésent. L’univers des fermiers, pourtant rudimentaire, évoque un univers stable et rassurant pour les traumatisés du Krach boursier.

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Grant Wood (1891-1942), American Gothic (Gothique américain), 1930, Huile sur panneau d’aggloméré, 78 x 65.3 cm. Chicago, The Art Institute of Chicago, Friends of American Art Collection. © The Art Institute of Chicago

Les artistes ressentent le besoin de dépeindre leur réalité contemporaine tout en portant un regard sur leur passé. En effet, c’est dans leur histoire que les américains puisent la matière de leur identité. Certains trouvent refuge dans la glorieuse époque coloniale tandis que d’autres reviennent sur des époques plus sombres qui ternissent et nuancent l’image d’un pays peuplé de héros. Thomas Hart Benton affiche quant à lui son parti pris pour l’intégration des afro-américains à la culture américaine.

 

 

 

 

 

 

 

Thomas Hart Benton (1889-1975), Cotton Pickers (Cueilleurs de coton), 1945, Huile sur toile, 81.3 x 121.9 cm. Chicago, The Art Institute of Chicago. © The Art Institute of Chicago. © T.H. and R.P. Benton Testamentary Trusts / ADAGP Paris 2016

Thomas Hart Benton (1889-1975), Cotton Pickers (Cueilleurs de coton), 1945, Huile sur toile, 81.3 x 121.9 cm. Chicago, The Art Institute of Chicago. © The Art Institute of Chicago. © T.H. and R.P. Benton Testamentary Trusts / ADAGP Paris 2016

Plutôt que de s’efforcer à accepter cette société en chute libre, d’autres peintres visent la libération de l’esprit par de nouvelles formes artistiques. Ils s’éloignent de la tradition figurée pour explorer l’abstraction, dont la source créatrice est, selon Pollock, l’expression de l’inconscient. C’est également sur cette idée que se fonde l’art surréaliste, inspiré aux artistes américains par quelques grandes figures européennes comme Miro ou Dali. En associant et juxtaposant librement des images, on parvient à des scènes presque onirique qui reflètent la psychologie de l’artiste. Les œuvres de Osvaldo Louis Guglielmi, par exemple, sont le miroir de sa pensée prolétarienne inquiétée par la décadence de son temps.

Oswaldo Louis Guglielmi (1906-1956), Phoenix (Portrait in the Desert; Lenin) (Phoenix (Portrait dans le désert ; Lénine), 1935, Huile sur toile, 76.2 x 63.8 cm. Sheldon Museum of Art, University of Nebraska-Lincoln, NAA-Nelle

Oswaldo Louis Guglielmi (1906-1956), Phoenix (Portrait in the Desert; Lenin) (Phoenix (Portrait dans le désert ; Lénine), 1935, Huile sur toile, 76.2 x 63.8 cm. Sheldon Museum of Art, University of Nebraska-Lincoln, NAA-Nelle

Les artistes ne sont pas les seuls à chercher un échappatoire à cette société en déclin. En effet, c’est toute la population qui s’enivre de distraction. Concerts, bals ou cinémas sont autant de moyens de faire face à une dure réalité. Les peintres représentent l’abondance vide, le foisonnement désespéré des divertissements auxquels la population s’adonne avec ardeur.

Reginald Marsh (1898-1954), Twenty Cent Movie (Film à vingt cents), 1936, Crayon carbone, encre et huile sur panneau de particules, 76.2 × 101.6 cm, Whitney Museum of American Art, New York

Reginald Marsh (1898-1954), Twenty Cent Movie (Film à vingt cents), 1936, Crayon carbone, encre et huile sur panneau de particules, 76.2 × 101.6 cm, Whitney Museum of American Art, New York

D’autres encore utilisent la peinture comme purgatoire. Ils expriment l’horreur et la désillusion auxquelles ils sont confrontés à travers des peintures très sombres. C’est d’abord une démarche introspective, une façon de se libérer de la haine ou de la peur qu’ils éprouvent. C’est également la projection d’une triste réalité sociale et économique et une manière de dénoncer les facettes les plus médiocres du contexte mondial de cette époque. Joe Jones, avec son  American Justice, s’inclut dans cette deuxième catégorie d’artistes en montrant avec violence les dérives de la société américaine.

Joe Jones (1909-1963), American Justice (Justice américaine), 1933, Huile sur toile, 76,2 x 91,4 cm. Columbus Museum of Art, Ohio

Joe Jones (1909-1963), American Justice (Justice américaine), 1933, Huile sur toile, 76,2 x 91,4 cm. Columbus Museum of Art, Ohio

Ces années troubles marquent également l’âge d’or du cinéma américain. L’énergie créatrice des cinéastes comme John Ford prend le dessus sur les conditions matérielles parfois difficiles dans lesquelles les compagnies doivent travailler. Les décors et les scénarios sont bien emprunts d’un esprit sombre et chaotique, mais les productions foisonnent dans tous les registres. La technique de la colorisation qui apparaît ensuite apporte un nouvel essor au septième art, libérant des possibilités esthétiques et ouvrant les portes à l’imaginaire.

Le Musée de l’Orangerie propose, en plus de cette riche exposition, plusieurs visites-ateliers, conférences et concerts en lien avec l’Amérique des années 30. Toute la programmation est disponible sur le site : http://www.musee-orangerie.fr/fr/evenement/la-peinture-americaine-des-annees-1930.


Crédits pour la photo de couverture : Georgia O’Keeffe (1887-1986), Cow’s skull with Calico Roses (Crâne de vache avec roses), 1931, Huile sur toile, 91.4 x 61 cm. Chicago, The Art Institute of Chicago, Alfred Stieglitz Collection, don de Georgia O’ Keeffe © The Art Institute of Chicago © Georgia O’Keeffe Museum / ADAGP Paris 2016


Du 12 octobre 2016 au 30 janvier 2017

Musée de l’Orangerie

Tarifs : 9€ – 6,50€ (tarif réduit)

Gratuité pour les moins de 25 ans

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Mini Critique #10 – Ero de Maseki /?p=1953 /?p=1953#respond Thu, 24 Nov 2016 15:10:26 +0000 /?p=1953 Parlons un peu musique avec Ero de Maseki…

Ero


Par : Maseki

Durée : 23 minutes

Date de sortie : 4 novembre 2016

Résumé : Maseki est un jeune artiste mais son premier album témoigne de sa maturité artistique.  Inspiré par la Trap (une branche du hip-hop), les sons électroniques expérimentaux et le Japon, Maseki a une personnalité atypique. Le label Pomme Framboise Records nous propose de découvrir son album Ero, qui vient de paraître.


L’ensemble de son album présente une certaine homogénéité, que chacun des titres vient enrichir de ses nuances. Les morceaux sont peu nombreux mais bien choisis et d’une grande qualité.

L’identité affirmée d’Ero se caractérise d’abord par une densité et une puissance sonore. D’entrée de jeu, on sent le souffle hip-hop qui anime la partie instrumentale. La pesanteur du rythme et la profondeur des sonorités imprègne la mélodie et constitue la base de l’album. A cette densité viennent pourtant se mêler des éléments aériens dont la légèreté contribue à l’équilibre de la composition.

L’univers musical de Maseki se situe en fait dans une marge entre le terrien et le cosmique. Il est à la fois ancré dans le monde physique urbain et un univers immatériel très lointain. Les voix sensuelles qui ponctuent la mélodie semblent proches mais inaccessibles. Sont-elles humaines ? Le paradoxe entre leur sensualité et leur caractère robotique est floue au point où cela devient destabilisant.

Tout au long de l’album, la musique se déploie dans un rythme semblable à celui d’un corps dansant lascivement. C’est en cela que réside la volupté de la composition. On peu dire qu’il y a à la fois quelque chose d’érotique et de mystique dans cette transe instrumentale.

Donc ?!

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Avec son premier album, Maseki nous offre un travail d’une grande qualité. Il nous plonge dans un univers original où cohabitent ses différentes inspirations. Si vous avez besoin d’une parenthèse cosmique de 23 minutes, vous pouvez écouter l’intégralité de son album sur Deezer, Spotify ou Apple Music !

Maseki jouera le vendredi 9 décembre aux Nautes, à l’occasion d’une soirée Pomme Framboise Records ! 

– Apple Music & Itunes : https://itun.es/fr/I-MJfb
– Spotify : https://goo.gl/ky7hI1
– Deezer: https://goo.gl/dd439x

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Alechinsky et l’amour de l’encre /?p=1911 /?p=1911#respond Wed, 16 Nov 2016 17:24:24 +0000 /?p=1911 Matisse est né à Cateau-Cambrésis. C’est là que se trouve aujourd’hui le musée qui porte son nom. Il accueille actuellement l’oeuvre de Pierre Alechinsky, artiste belge dont l’âge avancé n’enlève rien à son « hyper-activité » créatrice.

Le Musée Matisse de Cateau-Cambrésis est d’abord un lieu de rencontres. Rencontres entre le public et les collections, mais aussi entre les artistes eux-même. Qu’ils soient contemporains ou non, les artistes exposés au musée semblent liés par des idées, des inspirations. Les oeuvres se répondent et s’inscrivent dans un prolongement d’idées. C’est de cette vocation de créer un dialogue résonnant entre les murs du musée qu’est née l’idée d’une exposition consacrée à Pierre Alechinsky.

Vue d’exposition. Crédits photo Gaëlle Hubert

Le travail de l’artiste belge s’inscrit dans la continuité de l’exposition Matisse et la gravure qui a vu le jour fin 2015. Celle-ci s’intéressait à un aspect parfois délaissé du travail de Matisse, qui a pourtant inspiré de nombreux artistes. Alechinsky fait justement partie de ceux-là.

Issus d’une formation en typographie, en illustration du livre et en gravure, il touche également à la peinture, à la calligraphie et à la céramique. C’est autour de son travail sur les livres illustrés, ainsi que sur les recherches et correspondances qui y sont liées, que l’exposition Marginalia gravite.

Le parcours qui se tient au Musée Matisse rend compte de la richesse de l’oeuvre de Pierre Alechinsky en mettant l’accent sur les relations de qualité qui ont enrichi sa pensée. Sont exposées, comme témoignage de ces amitiés, de nombreuses oeuvres collaboratives où le dessin de l’artiste vient se lier aux écrits. Ces travaux sont l’occasion de repenser la répartition des textes et des illustrations dans l’espace. A travers la calligraphie, l’artiste s’intéresse également à la lettre comme signe, comme image qui peut être détournée. Il joue avec la forme des mots en même temps qu’avec leur sens en faisant preuve d’un humour moqueur, imprégné de surréalisme. Il créé des dialogues amusants entre des supports pré-existants (actes de notariat, feuilles de paiement…) et les illustrations qu’il intègre. A la manière des palimpsestes, les supports sont réemployés pour créer un sens nouveau.

Dans ses livres illustrés comme dans ses toiles, Alechinsky a le souci de la composition. La présence de la marge ou de la prédelle dans ses oeuvres est une constante. Elles viennent encadrer ou souligner le motif central, en prenant parfois une importance étonnante. En effet, le cadre, qu’on considère souvent comme annexe, apparaît sous un autre jour dans les oeuvres de l’artiste. Il vient soit décorer les toiles de sa couleur ou sa monochromie, soit conférer un sens supplémentaire au reste du tableau, parfois par une narration abstraite. Parmi les nombreuses préoccupations communes entre Matisse et Alechinsky, on distingue notamment l’utilisation de l’ouverture. Ce qui chez le premier prend la forme d’une fenêtre se traduit chez le second par cette ouverture entre les marges. La forme ronde fait également partie des motifs récurrents communs aux deux artistes. L’Astre et désastre, entre autre, semble apparaître comme une synthèse de ces recherches sur la composition : on y retrouve à la fois la prédelle monochrome qui contraste avec la richesse des couleurs, l’idée d’ouverture et la forme du rond.

Il ne faudrait pourtant pas penser que le travail d’Alechinsky est calqué sur celui de son inspirateur. Loin de marcher dans ses pas aveuglément, il crée une réinterprétation des images qui l’ont inspirées. L’artiste dit lui-même que rien n’est vierge, que la création est toujours nourrie des visions qui nous précèdent.

C’est grâce à sa maîtrise technique irréprochable et sa culture artistique que Pierre Alechinsky a fourni (et continue de fournir) des oeuvres aussi riches, tant par les références qu’on peut en extraire, que par une simple et pure poésie.


Jusqu’au 12 mars 2017

Musée de Matisse, Cateau-Cambrésis

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Mini Critique #8 – Le Grand Marin /?p=1905 /?p=1905#respond Thu, 10 Nov 2016 09:54:43 +0000 /?p=1905 Lili vous embarque avec elle en Alaska, à bord du Rebel, un superbe bateau de pêche !

Le Grand Marin


Par : Catherine Poulain

Éditeur : Éditions de l'olivier

Date de publication : 4 février 2016

Prix : 19€

Résumé : Parmi ceux qui pensent au grand départ, à la fuite, très peu franchissent réellement le pas. Lili fait partie de ces individus rares qui, portés par une force inexplicable, abandonnent soudainement leur nid et rejoignent une terre inconnue.


 

Le cœur de la jeune femme la porte jusqu’à la terre glaciale de l’Alaska : « the Last Frontier ». Là-bas, elle embarque sur le Rebel et découvre le monde de la pêche, celui des marins qui chaque fois retournent en mer au péril de leur vie. Elle doit prouver que son corps frêle peut rivaliser avec la force brutale des hommes et que sa volonté est assez forte pour combattre la fatigue et la faim. Très vite, pêcher devient une nécessité : elle veut entendre battre le cœur glacial de l’océan et sentir la chaleur du poisson dans son estomac. Seule femme à bord, elle cherche à mériter sa place au milieu des hommes sans demander quelque faveur. En partageant avec eux ces batailles contre l’océan et ces nuits sans fin, elle fait des marins sa nouvelle famille.

Elle souhaiterait ne jamais s’arrêter. Courir, courir encore sans jamais laisser le confort et l’enlisement s’installer. Sans même avoir le temps de s’attacher au corps puissant du grand marin et sa peau abîmée, aux nuits dans le vieux motel et aux effluves d’alcool.. Sa quête de vie, de vérité et d’absolu la poussent toujours plus loin dans l’effort et le voyage.

Derrière le personnage de Lili, c’est Catherine Poulain qui parle de sa propre expérience. Vivant aujourd’hui avec son troupeau de moutons, l’écrivain aura parcouru des kilomètres avant de s’installer dans les Alpes. Alaska, Canada, Etats-Unis, Japon… C’est à travers le travail ouvrier que la jeune femme entreprend sa découverte du monde. Au cours de ses périples, elle ne cesse de noircir des carnets, dans lesquels elle puisera les mots de son roman Le Grand Marin. Son écriture simple mais puissante reflète incroyablement sa personnalité. Ces phrases entrecoupées, parfois prises sur le vif, traduisent son sentiment d’urgence face à la vie qui court sous elle. Avec son premier romain, Catherine Poulain nous entraîne dans cette course effrénée pleine de poésie. Les mots bruts expriment des images puissantes, parfois violentes, mais toujours d’une grande beauté.

DONC ?!

coeur-05

Se plonger dans Le Grand Marin, c’est prendre le risque d’être submergé par une pulsion de voyage. A défaut de pouvoir partir, c’est au moins l’occasion de respirer une bouffée d’air iodé et de réveiller ses instincts d’aventurier.

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Mini Critique #7 – L’odyssée /?p=1878 /?p=1878#respond Sat, 22 Oct 2016 09:00:26 +0000 /?p=1878 Jérome Salle relève t’il le challenge que représente l’histoire du célèbre commandant Jean-Yves Cousteau ?

L’Odyssée


Par : Jérome Salle

Durée : 2h02

Date de sortie : 13 octobre 2016

Résumé : Le commandant Cousteau nous fait plonger avec lui dans les fonds marins et les péripéties de sa célébrité.


Jérome Salle, également réalisateur de Largo Winch, nous offre le premier biopic consacré au célèbre commandant Jean-Yves Cousteau. Ancien officier de la Marine, explorateur, inventeur et plongeur lui-même, ce singulier personnage a pour première ambition de découvrir le monde des profondeurs et ses merveilles. Sa petite famille, unie par cette même passion, vit alors des jours paisibles. Pourtant, l’amour du commandant pour l’océan va vite se transformer en une quête effrénée du « jamais vu ». Alors qu’il accède à la gloire, ses rapports familiaux se froissent progressivement jusqu’à se briser. Obnubilé par l’argent et pris dans un cercle vicieux, Cousteau ne réalise pas qu’il est en train de détruire l’univers qu’il convoite. Le premier à en prendre conscience est son fils Philippe, qui abandonne la quête dans sa décadence et laisse son père plein d’orgueil aux commandes du bateau. Les deux personnages se réconcilient finalement et partent ensemble au bout du monde. Cette fois, c’est plus dans l’objectif de préserver l’océan que de le conquérir.

Le réalisateur de l’Odyssée parvient à nous montrer l’univers marin sous son aspect le plus fascinant. Regorgeant de merveilles mais parfois dangereux, il est risqué de prétendre le maîtriser. Sur ce point, le film séduira les amoureux de la mer et des grands espaces. Certaines images, d’une grande beauté, sont particulièrement émouvantes et réduisent l’ego humain en un tas de poussière. Le chemin emprunté par Cousteau à la fin de l’histoire fait de l’Odyssée un film engagé. Il nous rappelle que notre planète est en danger depuis des années et que le combat est loin d’être fini.

Toutefois, le fond de l’histoire et sa morale ne suffisent pas à prendre le spectateur aux tripes du début à la fin. Le scénario présente quelques longueurs, on a souvent l’impression de revenir sur les même images, les même conflits. La personnalité de Jacques-Yves Cousteau ne tombe pas totalement dans le cliché du vilain commandant avare, puisqu’il finit par retourner sa veste, mais il est dommage que ce ne soit pas fait avec un peu plus de nuances…  On ne doute pas de sa profondeur d’âme, mais il aurait été intéressant d’assister de plus près à sa remise en question.

DONC ?!

L’Odyssée reste un très beau film, il donne une bouffée d’air frais dans notre vie urbaine et s’engage réellement pour la protection de l’environnement.

La petite anecdote : Lambert Wilson, qui incarne le commandant, s’est énormément investi dans son rôle… jusqu’à perdre 10kg pour le film !

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« COMMENT BÂTIR UN UNIVERS QUI NE S’EFFONDRE PAS DEUX JOURS PLUS TARD 3/3 : ENTROPIES » /?p=1849 /?p=1849#respond Wed, 19 Oct 2016 08:00:39 +0000 /?p=1849 C’est lorsque l’on prend conscience de la déconstruction permanente de notre espace vital que l’on commence à capturer ce qui nous sert de repère, ce qui nous rassure.

Après « Simulacres » et « Relativités », Marie Koch et Vladimir Demoule consacrent le troisième volet de leur projet d’exposition aux « Entropies ». Cette dernière thématique vient s’inscrire logiquement dans la continuité de ce qui a déjà été présenté. Après avoir interrogé notre appréhension du réel et bousculé des données spatiales que nous pensions figées, les deux commissaires d’exposition nous invitent à présent à étudier comment le temps vient marquer l’espace et le dégrader. Et surtout, comment nous, humains, nous réagissons face à la déconstruction de notre univers.

L’« entropie », mesure thermodynamique théorisée par le physicien Clausius, fait état de la désorganisation d’un système. L’augmentation de l’entropie est inéluctable dés lors que le temps commence à s’écouler. On peut calquer ce mécanisme thermodynamique sur l’évolution d’un système de manière générale. Notre univers, celui dans lequel nous évoluons chaque seconde, serait donc voué à se déconstruire lui aussi. Alors qu’il nous sert de repère et qu’il nous semble infiniment stable, l’espace qui nous entoure est en constante dégradation. En prendre conscience est effrayant. Si l’humain a cette manie de capturer, d’enregistrer ce qu’il vit, c’est finalement par peur de voir son monde s’émietter sous ses pieds.

vue d'exposition, © Aurélie Cenno

vue d’exposition, © Aurélie Cenno

Par la photographie, la sculpture ou l’installation, les artistes tentent de fixer en image ou en volume ce à quoi ils tiennent. Il s’agit tant de souvenirs personnels que de données ou de lieux dont ils redoutent la perte. Pour contrer cette inquiétude, l’humain cherche inconsciemment à s’approprier l’espace en en créant des représentations. Il photographie ses proches, crée l’empreinte ou la carte de lieux escarpés, recense des statistiques sur le bonheur dans son pays… En confinant son monde dans des figurations, l’homme peut le contempler et le posséder symboliquement. Nandita Kumar, elle, a projeté dans une bouteille l’image d’un futur proche et inquiétant : celui de l’urbanisation indienne. En l’enfermant dans cet espace réduit, elle prévient autant qu’elle rassure : le futur est là, dans cette bouteille close.

Vue d'exposition, Felicie D'Estienne D'Orves, Etalon Lumière, © Aurélie Cenno

Vue d’exposition, Felicie D’Estienne D’Orves, Etalon Lumière, © Aurélie Cenno

Mais cette sauvegarde est vaine : tout se déconstruit. D’une part, les supports matériels s’altèrent avec le temps comme un disque qui tourne ou une photo qu’on découpe, d’autre part le réel lui-même se déconstruit. Alors que l’on croyait l’habiter, le monde se noie dans la quantité de représentations et de copies que l’homme en a fait. Nous ne le connaissons plus dans sa réalité matérielle et immédiate.

Les artistes tentent alors de mesurer ce temps qui passe et nous effraie. Félicie d’Estienne d’Orves se lance dans ce projet ambitieux avec son Etalon lumière. Avec la contribution d’un astrophysicien, elle rend visible, sur un mètre en acier, la vitesse de la lumière depuis la Terre jusqu’au Soleil et jusqu’à Mars. Alors que l’on pensait la vitesse de la lumière aussi immuable que la mesure d’un mètre, elle se révèle tangible. De la Terre à Mars, la lumière peut aussi bien mettre 3 secondes que 22… Le côté universel de la mesure est totalement déconstruit et nous offre une vision du temps plus large, moins anthropocentrique.

 

Vue d'exposition © Aurélie Cenno

Vue d’exposition © Aurélie Cenno

Quant à l’artiste Miao Xiaochin, il tente de dématérialiser, grâce aux outils informatiques, notre passé, notre histoire. Il se réapproprie les grandes références de l’histoire de l’art (notamment Bruegel et Raphaël) et les rassemble dans un montage vidéo sonore. Ainsi, il les confine dans un même univers (très psychédélique), sauvé dans une dimension immatérielle comme une archive. Il s’engage en même temps dans la création d’une archéologie contemporaine en représentant des brides de notre civilisation où la technologie tient une grande place. Ces images qui conjuguent passé, présent et futur forment finalement un cycle : une éternelle renaissance de notre univers après sa destruction.

Miao Xiaochun, Restart, 2008 - 2010, Vidéo, animation digitale 3D, 14’22” Courtesy de la Galerie Paris-Beijing Mention du copyright: © Miao Xiaochun

Miao Xiaochun, Restart, 2008 – 2010, Vidéo, animation digitale 3D, 14’22”
Courtesy de la Galerie Paris-Beijing
Mention du copyright: © Miao Xiaochun

Grâce à ce dernier volet, « Entropies », nous prenons conscience de ce qui mène l’homme à multiplier les projections de son propre monde. La démarche des artistes, qui font aussi face à la déconstruction de l’univers, est de tirer de cette inquiétude quelque chose de poétique et qui motive la création.


Du 5 octobre au 10 décembre 2016

Maison populaire, 9 bis rue Dombasle, 93100 Montreuil

Entrée libre

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Mini Critique #6 – Juste la fin du monde /?p=1834 /?p=1834#respond Sun, 16 Oct 2016 12:07:09 +0000 /?p=1834 Juste la fin du monde, une petite perle de Xavier Dolan …

Juste la fin du monde


Par : Xavier Dolan

Durée : 1h37

Date de sortie : 21 septembre 2016

Résumé : Après une longue absence, Louis, talentueux auteur, choisit de retrouver le nid familial. Il a une terrible nouvelle à annoncer.


Assis dans l’avion, le personnage principal joué par Gaspard Uliel annonce d’emblée la couleur. Son retour auprès de ses proches n’est pas sans motivation:  il doit leur annoncer qu’il va mourir. Quand, comment, pourquoi ?  C’est ce qui semble être l’intrigue principale du scénario.

Les retrouvailles ne sont pas sans tourmentes. Elles viennent ébranler la petite vie tranquille de sa mère, sa soeur et son frère, marié. L’arrivée de Louis réveille en chacun d’eux un passé apparemment bouleversé. Petit à petit, chacun des personnages exprime ses reproches, ses appréhensions. Comme si tous les liens qui unissaient cette petite famille gravitaient autour de l’enfant prodige enfin revenu. Alors qu’ils attendent de lui un comportement de médiateur, Louis reste dans la retenue, toujours rongé par la nouvelle qu’il ne parvient pas à formuler.

Du début à la fin, la tension du synopsis est redoublée par le style de Xavier Dolan. Cadrages très serrés, plans très lents… Tout est mis en oeuvre pour laisser au spectateur le temps de plonger dans les pensées des personnages si complexes. Esthétiquement, les lumières et les textures font de ce film une petite perle dont on reconnaît bien la marque de fabrique.

DONC ?!

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Xavier Dolan s’est entouré des plus talentueux acteurs français du moment. Donc si vous ne faites pas partie de ceux que les films d’auteur excèdent, Juste la fin du monde devrait vous faire vivre un moment fort. Vous allez rire (parfois nerveusement) et vous allez grincer des dents devant les bégaiements de Marion Cotillard. En plus,on vous laisse découvrir la fin…

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Herb Ritts, Le photographe de la pureté /?p=1804 /?p=1804#respond Sat, 08 Oct 2016 13:25:59 +0000 /?p=1804 La Maison Européenne de la Photographie rend hommage à l’un des plus talentueux photographes contemporain à travers un parcours esthétique et lumineux…

Parcourir l’exposition consacrée à Herb Ritts, c’est se laisser submerger par toute la beauté que la photographie est capable d’offrir.

Le photographe californien, décédé en 2002, est l’auteur des clichés de mode les plus célèbres et de portraits de stars devenus iconiques. Il parvient à saisir ce que ses modèles, y compris ceux qui ont déjà été tant photographiés, ont de particulier. Il crée la photo, celle qui n’a jamais été faite, qui restera dans les mémoires et qui pourrait être regardée pendant des heures. Ceux dont Herb Ritts a capté l’image évoquent souvent une relation de confiance avec lui, si ce n’est une réelle affection.

Ce qui rend ses oeuvres si fascinantes, c’est le mélange de force et de finesse qui s’en dégagent. Il est presque déconcertant de faire face à un tel équilibre.

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Stephanie, Cindy, Christy, Tatjana, Naomi, Hollywood 1989 © Herb Ritts Foundation

Herb Ritts n’est pas un photographe du quotidien qui capturait des scènes presque au hasard en croisant les doigts. Au contraire, c’est un architecte, un sculpteur. Chacune de ses compositions est étudiée, les lignes se croisent exactement là où l’oeil aimerait les voir se croiser. On a beau chercher les imperfections de l’image, les éléments qui briseraient l’équilibre, l’oeil ne peut se détacher de cette forme pure et harmonieuse. L’artiste cherche aussi à rendre la matière, le modelé de la peau, c’est comme s’il avait choisi lui-même le marbre pour créer ses modèles.

Chaque corps, par le mouvement ou la tension qui l’anime, exprime la perfection. Les muscles en action se déploient dans l’espace et les muses aux morphologies sublimes dévoilent leur nudité. Semblables à des divinités grecques ou des héros mythologiques, les modèles de Herb Ritts incarnent le Canon de la beauté antique.

Le Beau est plus facile à ressentir qu’à définir avec des termes conceptuels. Si l’on s’attache à la théorie de Kant, il est question d’un sentiment universel et non d’un ensemble de caractéristiques esthétiques. Il existe effectivement des images dont nul ne peut nier la beauté, l’immensité. Face à un coucher de soleil sur la mer ou la montagne, chacun vit le Beau comme une expérience personnelle, tout en sachant que ce sentiment est partagé universellement. La perfection est incarnée au plus haut point dans la nature, que rien ne peut troubler. Les corps photographiés par Herb Ritts sont si exceptionnels qu’ils s’apparentent à des éléments naturels, des paysages vivants. Ils dégagent la même sérénité qu’une étendue de terre ou qu’un ciel dégagé de Californie.

Waterfall IV, Hollywood 1988 © Herb Ritts Foundation

Waterfall IV, Hollywood 1988
© Herb Ritts Foundation

On pourrait penser, à raison, qu’une telle perfection dégagerait de la rigidité. Comme une photo de classe où les élèves seraient obsessionnellement alignés et rangés par ordre de taille. Pourtant, les photographies d’Herb Ritts n’ont rien de superficiel. Au contraire, elles sont une expression de la pureté. Une pureté universelle qui naît à la fois de la perfection et de la spontanéité. C’est peut-être en cela que le travail du photographe a, comme il le disait lui-même, un caractère universel. Le jugement esthétique est dépendant des cultures et des époques, tandis que la pureté est une notion immuable.

Nous l’avons vu, le corps humain est au cœur du travail d’Herb Ritts. Au-delà de son intérêt pour l’anatomie, il travaille sur l’interaction entre le corps et son environnement, la manière dont l’un entre en contact avec l’autre. Il capte l’instantané où l’eau vient glisser sur la peau, où un tissu tendu enveloppe un corps nu. Et il étudie comment la lumière imprègne les surfaces, pour mieux la maîtriser et la réinventer.

Une technique irréprochable alliée à une sensibilité artistique comme celle-ci est rare dans l’histoire de la photographie. Le panorama des œuvres présentées à la MEP nous transporte dans un monde fait de formes pures, pour le plus grand bonheur des yeux. Si l’on peut faire un parallèle entre la photographie et la musique, Herb Ritts a véritablement l’« œil absolu ».


Du 7 septembre au 30 octobre 2016

Maison Européenne de la Photographie

Du mercredi au dimanche de 11h à 19h45

Plein tarif : 8€ ; Tarif réduit : 4,50€

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