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La salle des géants, le maniérisme de Jules Romain à Mantou

Le Palais du Te à Mantoue, commandé par Frédéric II Gonzague à Jules Romain en 1525-1526, abrite une pièce recouverte d’une fresque d’un travail exceptionnel, la Salle des Géants. Les travaux sont vraisemblablement finis en 1534, à l’exception de la Chambre des Géants, dont deux murs seront fait au mois d’août. Le Palais est alors construit à l’emplacement d’un haras, dans une volonté de « créer un lieu pour pouvoir se restaurer au calme et se délasser. » – Les Vies, Vasari.

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Jules Romain, de son nom de naissance Giulio di Pietro di Filippo de Gianuzzi, naît à Rome vers 1492-1499 et meurt à Mantoue le 1er novembre 1546. À la fois peintre et architecte, c’est celui des élèves de Raphaël qui l’emporte sur ces disciplines et qui sache véritablement pratiquer l’art de l’architecture, acquis auprès de son maître. A la mort de Raphaël le 6 avril 1520, Frédéric II Gonzague (1500-1540), marquis de Mantoue depuis 1519, invite Jules Romain qui le rejoindra à Mantoue le 22 octobre 1524 où il deviendra vicaire de cour et se concentrera sur la réalisation de dessins préparatoires plutôt que sur l’exécution matérielle des œuvres.

 La Salle des Géants :

L’espace de la pièce ressemblant à « un four » selon Vasari à cause de son voûtement, accueille une large fresque courant sur les murs et le plafond, réalisée entre 1532 et 1535.  Comme pour les autres décors du palais, tout fut réalisé suivant les projets de Jules Romain sans que celui-ci ne prenne grande part à leur matérialisation, il s’entoure donc d’un groupe d’artistes : Primatice, Caravage, Luca da Faenza et Rinaldo Mantovano.

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Cette pièce aux dimensions en réalité relativement modestes a reçue un programme décoratif scrupuleux et une exécution rapide. La fresque représente dans la partie basse – les murs -, la chute des Géants, ensevelis sous des pierres et des colonnes. Les Géants sont imposants, d’autant plus qu’ils sont proches des spectateurs, leur corps sont des positions compliquées et diverses, tandis que leurs visages sont très expressifs. Ils sont effrayés et semblent dépassés par ce qu’il leur arrive.

Au-dessus d’eux, au niveau de la voûte, les dieux de l’Olympe sont placés de manière circulaire. La composition est dominé par un aigle, au centre de la coupole – celui des Habsbourg ou celui des Gonzague – qui domine lui-même un trône déserté. Sous le trône apparaît Jupiter courroucé aidé de Junon, qui lance la foudre – symbole du pouvoir impérial -, sur les Géants. Chacun des personnages entourant Jupiter est en proie à des sentiments extrêmes devant le résultat de la colère divine.

« Les fragments de rochers dont étaient formées les portes, les fenêtres et la cheminée, se trouvaient disposés de telle sorte qu’il semblait prêts de s’écrouler. », écrit Vasari. Guilio Romano donne ainsi plus d’intensité à la scène par l’architecture. 

On remarque au Palais du Te l’emploi d’une forme caractéristique du trompe l’oeil aux XVIème et XVIIème siècles avec la reprise des architecture feintes, déjà en vogue pendant l’antiquité classique. C’est une technique qui consiste à peindre sur les murs et plafonds des perspectives architecturales dans le but de dilater l’espace intérieur de la pièce. Les cailloux masquent la limite où commence la peinture ; les angles, les arêtes des murs et du plafond sont atténués puis peints afin de ne pas distinguer les limites de la salle. Giulio Romano souhaite abolir le mur pour entraîner le spectateur dans l’illusion, c’est ce qu’on appelle le quadraturisme. Le peintre a ainsi recours aux règles de la perspective pour créer un effet de continuité entre le réel – les murs – et le virtuel – la scène projetée. Le centre du plafond use du procédé par la simulation d’une loggia circulaire au moyen d’un trompe l’oeil ascensionnel, telle une véritable voûte. Le spectateur se retrouve ainsi immergé dans la scène qui s’avance et fond sur lui, sentiment augmenté par le fait que la salle est mal éclairée afin de rendre les fresques plus étonnantes. 

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Les Géants sont les fils de Gaia, la Terre, nés du sang d’Ouranos mutilé par Cronos. Engendré par la Terre pour venger les Titans que Zeus avaient enfermés dans le Tartare, les Géants, cependant mortels malgré leur origine divine – à condition d’être tués à la fois par un mortel et par un dieu – sont des êtres énormes, d’une force invincible et d’un aspect effroyable.

Aussitôt nés, ils menacèrent le ciel, dardant contre lui des arbres enflammés et le lapidant avec d’énormes rochers, tentant de prendre d’assaut l’Olympe en entassant montagne sur montagne. Devant cette menace, les Olympiens se préparèrent au combat. Les principaux adversaires des Géants furent d’abord Zeus et Athéna, accompagnés d’Héraclès, le principal auxiliaire de la déesse. Ce dernier, mortel nécessaire pour remplir la condition imposée par les Destins à la mort des Géants, est souvent représenté se tenant sur le char de Zeus combattant de loin avec des flèches. Ils sont ainsi repoussés et enterrés sous les volcans où ils grondent encore.

Ici, seule la Chute des Géants est représentée. Ovide parle de la fin de ce combat dans ses Métamorphoses au Chant 1, « On dit encore que la terre, fumante de leur sang, anima ce qui en restait dans ses flancs, pour ne pas voir s’éteindre cette race cruelle. De nouveaux hommes furent formés : peuple impie, qui continua de mépriser les dieux, fut altéré de meurtre, emporté par la violence, et bien digne de sa sanglante origine ». On souligne ainsi la dimension politique et symbolique de l’oeuvre.

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Une dimension politique est palpable dans la Salle des Géants, associant Jupiter à Charles Quint et les Géants aux princes italiens foudroyés par l’empereur. L’aigle propre à Jupiter, correspond aussi aux armes des Gonzague, tant qu’à celles des Habsbourg. Giulio Romano représente ainsi le triomphe de la politique menée par le prince Espagnol, en lien avec les guerres qui ensanglantaient l’Italie depuis les années 1520. Il illustre une actualité récente en démontrant sa maîtrise technique par une chute des princes italiens plus spectaculaire qu’en réalité. La tragédie et la violence presque palpables dans la fresque font du pouvoir en place une allégorie, servie par la tendance appelée « maniériste » qui se dégage de l’œuvre.

Le maniérisme est un mouvement qui désigne les manifestations artistiques réalisées en Europe entre 1520 et 1620 environ. Il se traduit en peinture par un primat du décoratif impliquant des conventions spatiales : juxtaposition des figures, plans superposés, raccourcis et « tours de force », un allongement des formes, des poses compliquées, de nombreux nus avec une musculature accentuée, des couleurs acidulées, la beauté du détail. Les perspectives sont poussées à l’extrême, les proportions et échelles sont déformées, les figures serrées dans un espace trop petit, ce qui donne l’impression que le moindre geste ferait éclater le tableau. Le but étant de mettre en avant la virtuosité du peintre.

Giulio Romano utilise l’architecture peinte pour structurer sa composition mais tout en la rendant bancale, s’écroulant sur les Géants. La salle perd de sa consistance matérielle et spatiale amenant le spectateur à entrer directement dans la scène représentée. Le travail de Michel-Ange influence le peintre par l’utilisation anticlassique des motifs classiques, le rythme, ainsi que des éléments du décor qui semblent utilisés sans tenir compte de leur vocation première comme ici avec la cheminée qui sert plus à jouer de ses teintes sur l’œuvre et non à réchauffer la pièce, participant entièrement à la composition, ainsi que « les fragments de rochers dont étaient formées les portes, les fenêtres et la cheminée, se trouvaient disposés de telle sorte qu’il semblait prêts de s’écrouler » – Vasari ; dans une volonté de spectacle total.


 

BIBLIOGRAPHIE :

OVIDE, Les Métamorphoses [s.l.], [s.n.], [s.d.]

VASARI Giorgio, Les vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes / 12, édition commentée sous la dir. d’André Chastel, Du texte à l’image – Dessins du Libro, Berger-Levrault, p. 288 – 290

BAZZOTTI Ugo, SGRILLI Grazia, Palazzo Te – Guilio Romano’s masterwork in Mantua, NYC, Thames & Hudson Ltd, 2013 ; trad. NICOLAS Jérôme, Le palais du Te, Mantoue, Paris, Seuil, coll. Beaux Livres, 2013

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CALABRESE Omar, L’art du trompe-l’œil, Paris, Citadelles & Mazenod, coll. Les Phares, 2010

CHASTEL André, L’art Italien, Paris, Flammarion, coll. Tout l’Art, 1982

COSTA Sandra, Peinture Italienne – Du maniérisme au néoclassicisme, Paris, Presses Universitaires de France (PUF), coll. Que sais-je ?, 1996

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