Simon Pitaqaj à propos de Nous, les petits-enfants de Tito – L’Entretien

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire Nous, les petits-enfant de Tito ? Y a-t-il eu un élément déclencheur ?

Je suis arrivé en France à l’âge de 15 ans, je ne parlais pas un mot de français. Mon frère m’avait inscrit au collège à Aubervilliers, dans une classe non francophone. Au début, j’ai cru qu’on m’avait amené à l’asile de fous. J’étais persuadé que c’était l’endroit où l’on réunissait les handicapés mentaux. Parce qu’au pays, personne n’osait répondre au professeur, ni parler fort, et encore moins jeter des bouts de papier et faire pleins d’autres choses. A la maison, j’ai dit à mon frère : « C’est une classe de dingue où tu m’a amené ? » Il s’en est amusé et m’a répondu : « Non, c’est une école publique, c’est normal ici. »

Quelques années plus tard, je ne trouvais plus mes camarades de classe fous, je m’étais habitué. Tout cela était devenu normal. Normal, mais en marge, mis de côté, à regarder les lumières de la ville en face, à envier ce qui se passait de l’autre côté du périphérique. Piégés dans nos tours et nos antennes de télévisions où naissaient nos rêves et mourraient nos espoirs. La marge, je la connaissais bien, je m’y sentais bien, c’était comme au Kosovo. Nous étions tous des rêveurs, des aventuriers sans possibilité d’aventure, des voyageurs immobiles, prisonniers du béton.

Puis il y a eu les événements de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher et j’ai vécu comme un retour en arrière. J’ai senti que la haine qui s’exprimait dans ces événements sanglants et stupides avaient quelque chose à voir avec ce que j’avais vécu, moi, en débarquant du Kosovo, avec mes amis des cités. Écrire cette pièce est devenu comme une nécessité, je voulais témoigner de cette époque, témoigner pour tous ces jeunes mis entre parenthèse. Car nous, enfants qu’on était, on n’aimait pas cette barrière, ce mur entre Paris et l’autre côté du périphérique !

Il y a vingt ans je pensais que c’était un malentendu entre nous banlieusards émigrés et Paris !

Je me disais : « Ils ne nous comprennent pas, et nous ne savons pas nous faire comprendre. On n’a pas les mots qu’il faut, pas la culture, pas l’éducation pour nous faire comprendre. » Mais je pense qu’aujourd’hui ce n’est pas une question de compréhension, ni de manque de mots, mais un manque de justice ! Sans quoi rien ne peut se construire…

Nous, les petits-enfants de Tito, 2017

Dans ce récit, pourquoi mêlez-vous des éléments autobiographiques et des vieilles légendes balkaniques ? Est-ce pour créer un pont entre passé et présent ? Si oui, en quoi ce lien est-il important ?

Enfant, j’étais baigné dans le monde des contes et légendes. J’étais habité par mille personnages et fantômes. J’ai éprouvé le besoin de parler de ce morceau de vie. Le raconter, c’était une façon d’essayer de passer à autre chose. J’en avais besoin, c’était une nécessité de retracer ce chemin parcouru. Bien sûr, ce n’était pas évident… mais c’était plus fort que moi.

Dans Nous, les petits-enfants de Tito , cet adolescent est né et a grandi dans un pays de mythes et des légendes, mais aussi dans un pays en guerre. Il porte en lui tout ça sans le savoir. Chaque jour, il en apprend un peu plus son héritage, son passé proche et lointain, qui est parfois difficile à porter. Il découvre au fur et à mesure son passé à travers les mythes et les légendes. Sans vraiment se rendre compte des messages qu’il véhicule, il partage ça avec ses amis d’une manière légère. Mais ses amis sont marqués par ses histoires et vont jusqu’à s’en inspirer ! Ce qu’il y a dans les légendes, c’est qu’elles nous plongent dans un passé très lointain, elles nous plongent dans nos origines. C’est nécessaire pour cet adolescent franco-kosovar de s’y plonger puisque cela lui permet de comprendre son présent. Sa seule libération est de créer un pont entre le passé et le présent. Peut-être pour se sentir enfin à sa place. Là où il est…

Pensez-vous que votre propre parcours fait écho à celui de certains jeunes, encore aujourd’hui ?

Je sens qu’aujourd’hui, les jeunes n’ont pas vraiment d’espoir, alors imaginez-vous les jeunes émigrés qui arrivent en France du jour au lendemain… L’adolescent de Nous, les petits enfants de Tito est un rêveur plein d’espoir, un combattant. Il lui arrive des tas de choses improbables mais il arrive à les surmonter, il tient debout. Cela fait écho non seulement à des banlieusards qui se battent chaque jour et essaient de tenir debout, mais aussi aux jeunes du monde entier. Aujourd’hui tout le monde se bat, simplement pour rester debout et ne pas glisser vers le désespoir !

Selon vous, en quoi l’écriture peut aider à aller au-delà des apparences ? Avec cette pièce, qui souhaitez-vous toucher ? Un public en particulier ?

Mon écriture passe à travers le plateau. J’écris pour la scène, pour les comédiens et le public qui va écouter et voir la pièce. Je ne peux pas écrire sur un bureau et dire : « Voilà c’est fini, jouez maintenant ! » Non, j’ai besoin d’essayer seul puis avec mes collaborateurs comme Cinzia Menga (danseuse/chorégraphe) avec qui je travaille le mouvement dans l’espace, la beauté du geste car, pour moi l’écriture c’est physique ! Et en général, quand j’écris et mets en scène, je me demande toujours : « Et si mon père et ma mère voyaient ça ? » (alors qu’ils sont ouvriers et anciens paysans). Ou encore: « S i quelqu’un qui avait une grande culture et de larges connaissances voyait mon spectacle, que comprendrait-il ? Est-ce que cela les toucherait ? Est-ce que cela les ferait rêver, réfléchir ? Est-ce que cela les bousculerait, les mettrait en colère, les agacerait ? «

Du coup je me concentre plus sur l’humain. Au fond, ce que je cherche, c’est que chacun, homme et femme, trouve son compte dans mes spectacles.


VENEZ DECOUVRIR NOUS LES PETITS-ENFANT DE TITO :

Du 21 au 26 mars 2017

Théâtre Le Colombier

Du mardi au samedi à 20H30 (Relâche le jeudi soir)

Dimanche à 17H

Jeudi (COMPLET) et vendredi à 14H30

(OUVERT AUX SCOLAIRES et PROFESSIONNELS)

20 rue Marie-Anne Colombier

93170 Bagnolet

www.lecolombier-langaja.com

[email protected]

01 43 60 72 81

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