Arman et l’objet

À la fois sculpteur et peintre, Armand Pierre Fernander mérite bel et bien son nom d’artiste : connu pour le dévouement passionné qu’il prête à chacune de ses actions, le caractère novateur de son oeuvre ne cesse de nous étonner et influence notre vision de l’art aujourd’hui. C’est en effet l’originalité des créations d’Arman qui fait de lui un artiste précurseur : repensant la place de l’objet dans l’art aussi bien que dans nos vies de tous les jours, il ne cesse de nous étonner.

Arman photographié par Lothar Wollen

Artiste du XXème siècle, Arman s’intéresse de près à un phénomène qui naît à son époque : la consommation à outrance. Le rapport des individus aux objets se modifient, prend des allures d’absolutisme, il faut consommer, acheter de plus en plus. C’est la naissance de ce que l’on nommera plus tard « la société de consommation », celle qui oriente et crée de nouveaux besoins. S’engageant en dénonçant les excès de ces nouveaux besoins – désirs orientés, artificiels et éphémères -, Arman s’en inspire dans la création de sa série de sculptures intitulées « Poubelles », débutée en 1959.

Arman, Ordure et paille, poubelle des halles, 1961

Ces détritus, dans lesquels nous pouvons distinguer des objets précis, nous invitent à réfléchir sur leur utilité : combien de temps nous servent-ils ? Si le nombre d’éléments représentés nous surprend, c’est parce que l’artiste souhaite montrer à quel point ils prolifèrent inutilement. Mais l’abondance d’éléments représentés renvoie également à autre chose pour l’artiste, qui dira lui-même : « Ce procédé de travail est en corrélation avec les méthodes actuelles : automation, travail à la chaîne, mais aussi mise au rebut de série ».

Il ne s’agit donc pas de déconnecter l’objet de son utilité première, mais bien de le représenter fidèle à lui-même, dans une inutilité criante. Le revers de l’abondance trompeuse amenée par la société de consommation réside bel et bien dans un gaspillage inutile. Entre volonté pédagogique de transmettre un message et engagement personnel, l’oeuvre d’Arman est diverse, et nous en fait voir de toutes les couleurs. Notre artiste est l’un des principaux fondateurs du mouvement nommé « Le nouveau réalisme », qui rassemble sous cette bannière des artistes qui cherchent, au travers des objets qui leur servent d’outils, à se réapproprier la réalité extérieure et objective. Les accumulations d’Arman en sont un bon exemple. Celles-ci représentent un enchevêtrement d’objets de toutes sortes (vis, montre, cafetière,…), rassemblés dans un bloc de polystyrène transparent. En emprisonnant ainsi des objets qui composent notre vie de tous les jours, Arman cherche à se réapproprier une partie du réel, de ce qui le constitue. Au-delà d’un simple entassement, en conservant tel quel l’état des choses, l’oeuvre d’Arman sert de mémoire : unique trace de notre société absorbée par un désir éclatant de consommer, ces détritus sont nécessairement tout ce qu’il en reste.

Se différenciant d’autres artistes, jugés plus classiques, Arman participe au « Premier festival du nouveau réalisme », dans lequel il manifeste ses Colères, partant du principe que la société de consommation a atteint un point de non-retour qui la voue à l’échec. Nombreux sont ceux en qui germent l’idée d’un avenir post-industriel. Arman, en s’exposant en train de briser des objets, affirme sa volonté de participer à la fin promise, attendue : détruire ce que la société de consommation s’est évertuée à instituer, renverser l’ordre des choses, penser un après, … En se mettant en scène de la sorte, il montre sa volonté à participer à la chute attendue et même peut-être déclenchée.

Arman, Série combustion, après le temps menaçant, 1965

Mais il est également connu pour la diversité des matériaux sur lesquels il s’appuie : passant de la peinture aux accumulations, des cristallisations dans le polyester aux combustions, Arman ne cesse d’étonner. Mais au-delà d’un simple soucis esthétique, l’utilisation de ces supports nous amène à penser qu’il s’agit là d’une véritable méthode qui permet à l’artiste de développer ses idées.

Arman, Allure d’objet, 1960

Un panel d’oeuvres qui ne laisse personne indifférent et nous invite à réfléchir, sur nous-mêmes et sur le rapport que nous entretenons aux choses qui nous entourent. L’oeuvre d’Arman nous étonne, en tant qu’elle nous invite à porter un nouveau regard sur le monde et tout particulièrement sur le lien qui unit le consommateur et l’objet. Un pari réussit pour celui qui, tiraillé par le désir de montrer l’identité propre de l’objet, souhaitait avant tout être sculpteur et peintre et mettre en avant sa qualité d’artiste.

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