Claire Maugeais, Le chien de mon fusil

La Galerie Fernand Léger, galerie municipale d’art contemporain d’Ivry-sur-Seine, accueille actuellement « Le chien de mon fusil », une exposition monographique consacrée au travail de l’artiste Claire Maugeais.


Réaliser une œuvre, est-ce « mettre le feu au poudre » ? L’exposer au public, est-ce braquer ce dernier, le prendre en otage ?

« Le chien d’un fusil est la pièce mécanique qui sert à percuter l’amorce de la cartouche dans les armes à feu. » Le titre de l’exposition évoque dans un premier temps des jeux de mots liés à des expressions de la langue française ou convoque des images amusantes, subliminalement glissées par l’artiste dès la petite vidéo introductive qui accueille le spectateur : un chien habituellement placé sur la plage arrière des voitures, qui semble acquiescer docilement, bêtement, sans poser de question.

Mais lorsque l’on comprend que ce même titre peut également être envisagé comme une formule poétique, métaphorique, assimilable à la mise en œuvre artistique (« ce qui inspire, déclenche, mais aussi ce qui projette, envoie… »), on commence à cogiter, à percevoir les choses différemment.

A la Galerie Fernand Léger, on s’enfonce littéralement sous terre, dans un espace hors du temps : les locaux devaient, à l’origine, accueillir des salles de cinéma. L’espace n’a jamais été aménagé comme tel, et il est donc aujourd’hui constitué de trois grandes salles d’expositions légèrement pentues, espace original qui semble mettre au défi les artistes venus se l’approprier.

En accord avec un axe de réflexion fondamental du lieu, les artistes doivent également se saisir d’une seconde contrainte importante, celle de mener une réflexion sur le territoire d’Ivry. La Ville mène d’ailleurs une politique particulièrement dynamique en ce qui concerne la réalisation d’œuvres d’art dans son espace public – un patrimoine de plus de cinquante œuvres aujourd’hui !

On découvre donc dans l’exposition deux idées de projets pour l’espace public ivryen, mis au contact de nombreux autres travaux de l’artiste. De manière subtilement cynique et grinçante, Claire Maugeais interroge notamment l’espace urbain et son architecture à travers leur image, « qui devient un nouveau territoire à expérimenter ». Images manipulées, photographies dont le contraste est poussé à l’extrême, jusqu’à l’extraction de leur empreinte, peinte en noir sur des supports clairs– des serpillères et autres toiles domestiques. L’image paraît ainsi avoir été pressée jusqu’à l’obtention de sa trace la plus essentielle.

Elle est parfois encore confrontée à d’autres signes, des chiffres, que l’artiste semble avoir dépouillé de leur signification – la plupart du temps monétaire – pour les réduire, dans un premier temps, à de simples signes typographiques. Leur aspect formel dialogue ainsi avec cette architecture elle aussi réduite à l’état de forme, « dé-chargée » de sa monumentalité, de son volume, de sa fonction. Ces éléments évoquent des codes-barres, des tickets de caisse, des aspects quotidiens de la société de consommation.

Mais lorsque l’artiste décide de réinvestir ces mêmes chiffres avec une autre signification – les associer à des lettres de l’alphabet pour écrire des phrases traduisant sa pensée – on peut imaginer que l’image architecturale peut potentiellement être, elle aussi, réinvestie, « re-chargée » (comme un fusil…), avec des significations nouvelles. Ou pas.

On comprend qu’à travers ce processus, l’artiste reprend en fait un contrôle total sur ce qui est, d’ordinaire, imposé de manière ininterrompue à notre regard, jusqu’à l’abrutissement. Jusqu’à ce qu’on ne puisse plus faire qu’acquiescer, docilement, bêtement, sans poser de question, à la manière de ces chiens en plastique posés à l’arrière des voitures… En effet, dans la ville, comment échapper à ces buildings nous poursuivant et nous écrasant de leur hauteur, dans lesquels on imagine des financiers affairés, 24H/24, à compter « en milliards de milliards, de milliards » ? De quels messages plus ou moins subliminaux, mais à haute valeur capitalistes, ces architectures ont-elles été chargées, afin de les distiller insidieusement ? « La ville est un espace de propagande, continuellement lavé », écrit encore l’artiste.

Un travail radical, efficace et percutant, à consonances absurdes et festives, à découvrir jusqu’au 15 décembre à la Galerie Fernand Léger !


Exposition jusqu’au 15 décembre 2018

Galerie Fernand Léger

Galerie d’art contemporain de la ville d’Ivry-sur-Seine

93, avenue Georges Gosnat

94200 Ivry-sur-Seine

Ouvert du mardi au samedi de 14h à 19h


Image de couverture : Le Ciel et la terre , huit pièces, coton, peinture, métal, 8 x 55 x 172 cm, 2018.

Crédits photographiques : Galerie Fernand Léger

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