MIKA YAMADA, L’APPEL DE SOIE

Une invitation au voyage… Mika Yamada est une artiste en broderie à la main japonaise. Originaire de la ville de Sagamihara, à quelques kilomètres au sud-ouest de Tokyo, la jeune femme a posé ses valises à Paris en 2015, dans le cadre du programme  « Compétences & Talents ». Vêtue d’un kimono beige, elle nous reçoit chez elle, un petit appartement du Ve arrondissement, aussi son atelier. Une rencontre hors du temps entre la France et le Japon.

Propos recueillis par Jérôme Pace

Hey Listen : Tu es diplômée de la prestigieuse Joshibijutsu Daigaku de Tokyo, une école d’art privée et réservée aux femmes. Nous en dirais-tu un peu plus sur ton parcours ?

Mika : Si je devais évoquer un peu mon itinéraire, je soulignerais d’abord un destin ! (rire) À dire vrai, j’ai toujours voulu être une artiste… Enfant déjà : dessiner, écrire, ou peindre, peu m’importait, je crois ! Mais là où mon cheminement est intéressant, c’est que je n’ai finalement trouvé ma voie que très tard, à l’occasion d’un atelier-découverte à l’université. Curieuse de nature, je me suis toujours essayée à beaucoup de choses, mais sans jamais pouvoir m’exprimer pleinement. C’est pourquoi j’aime tant mon parcours : quelle fin inattendue !

Après tant d’années de recherches, d’expérimentations… Qui eut cru que la broderie à la main deviendrait ma vie ? Ma rencontre avec le fil de soie fut une telle révélation : toutes ces couleurs – près de 400 ! –, ce touché si particulier… Et puis, ce travail du fil qui permet un tel détail, un tel relief : le jeu entre la staticité des points et le mouvement des compositions est tellement incroyable ! Je suis tombée amoureuse… Mon entrée à la Joshibijutsu Daigaku relevait dès lors de l’évidence.

Fils de soie
Photo : © Jérôme Pace.

Fils de soie et accessoires de broderie
Photo : © Jérôme Pace.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

HL : Une révélation à point nommé !

Mika : Assurément ! La broderie à la main est un art délicat, et donc total. Être brodeur, c’est aussi être visionnaire : chaque pièce étant unique, qui nécessite un investissement de temps considérable, rien ne peut être laissé au hasard. Toute composition est ainsi le fruit d’un long processus de réflexion : pour chacun de mes projets, je multiplie les dessins préparatoires, sur papier d’abord, en noir et blanc, puis en couleur ; sur le tissu, ensuite. Ce n’est donc qu’une fois la mise en scène fixée, que je puis m’atteler à la broderie proprement dite ! Ma première année de formation résume bien cette dimension de mon travail : pas de broderie, mais l’étude du dessin, du design, de la photographie…  

Mika Yamada, Dessin préparatoire « Carps » (30 x 30 x 13 cm),
Broderie sur boîte.
Photo : © Jérôme Pace.

Mika Yamada, Carps (30 x 30 x 13 cm),
Broderie sur boîte.
Photo : © Sasaki Hidetoyo.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Enfin, il ne faut pas oublier que la broderie est un artisanat ancien, traditionnel, en ce sens que ses techniques, ses méthodes, sont transmises de génération en génération depuis plusieurs siècles. Or, contrairement à l’imaginaire qu’elle véhicule, cette pratique est loin d’être figée ! Bien sûr, quand je restaure de vieux kimonos, par exemple, il y a des règles à suivre, une histoire à respecter. Mais quand il s’agit de création pure – artistique ! –, lorsque je compose un tableau, ma liberté est absolue. En particulier, sur le plan technique ! Innover est une véritable jouissance : j’aime explorer, tester de nouvelles choses, comme mettre au point de nouvelles méthodes ou associer des matières différentes. Un de mes rêves serait d’associer broderie et plumasserie ! 

Mika Yamada, Broderie sur kimono.
Photo : © Sasaki Hidetoyo.

Mika Yamada, Broderie sur kimono (détail).
Photo : © Sasaki Hidetoyo.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

HL : Tu évoques l’aspect artisanal et artistique de ta pratique. Cependant, tu te définis comme une « artiste en broderie », non une artisane : est-ce là le prix de ta liberté ?   

Mika : Répondre à cette question est difficile… Car que je fasse de la restauration ou de la création, ma pratique sera toujours artisanale : je perpétue un savoir-faire ancien. Aussi, ma liberté est-elle avant tout une affaire de perspective ! Comme tout le monde, j’ai longtemps pensé la broderie comme de la simple décoration : de vêtements, de linges, ou encore de petits objets, eux-mêmes décoratifs… En somme, une vision limitée, avec pour seul horizon une répétition très ordonnée d’une technique de travail traditionnelle.

Or, un jour que je visitais le musée National de Tokyo, le Tōkyō kokuritsu hakubutsukan, je suis tombée sur un grand panneau brodé. Une vraie surprise ! Mais surtout, un sentiment incroyable… Tout d’un coup, je prenais conscience que je pouvais créer quelque chose de différent, quelque chose qui n’appartiendrait qu’à moi. Ma liberté n’est pas autre chose : elle est surtout ma capacité à créer mon propre univers et à le partager.

Mika Yamada, Moss Garden M50 (116 x 73 cm),
Tableau en broderie.
Photo : © Sasaki Hidetoyo.

Mika Yamada, Iris F25 (81 x 65 cm),
Tableau en broderie.
Photo : © Sasaki Hidetoyo.

HL : D’où la centralité de la nature dans tes compositions…

Mika : En effet ! Il s’agit pour moi de revisiter un thème essentiel de l’art et l’artisanat japonais. Au-delà de sa beauté intrinsèque – une source d’inspiration infinie ! (rire) – la nature nous révèle et nous confronte à notre mortalité. Ainsi que nous le rappelle le cycle des saisons, il y a bien sûr le temps qui passe : qui que nous soyons, notre limite biologique est une certitude. Mais la nature peut aussi être violente et destructrice ! L’histoire du Japon est émaillée de nombreuses catastrophes naturelles : tremblements de terre, tsunamis, typhons ou encore éruptions volcaniques… Ces traumatismes – le dernier en date, Fukushima, ne serait être qu’un exemple parmi d’autres – ont forgé, au fil des siècles, la mentalité et la vie des Japonais qui ont appris à accepter ses vicissitudes et la fragilité de la vie. Mon travail est aussi cela : l’expression d’un sentiment éphémère.

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Mika Yamada, Shore Crab F50 (130x 89 cm),
Tableau en broderie.
Photo : © Sasaki Hidetoyo

 

Mika Yamada, Shore Crab F50 (130x 89 cm ; détail),
Tableau en broderie.
Photo : © Sasaki Hidetoyo.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

HL : Tu as reçu de nombreux prix au Japon. Pourquoi avoir quitté l’archipel ?

Mika : Pour beaucoup de raisons ! (rire) Une première serait que la broderie à la main japonaise disparaît progressivement, remplacée par une broderie mécanisée, moins chère et plus rapide d’exécution. Les mentalités ont évolué : bien sûr, certains musées ou particuliers recherchent encore, dans le cadre de restaurations de vêtements anciens ou de décorations de tissus de cérémonie, des artisans maîtrisant les techniques de la broderie à la main traditionnelle, mais la demande diminue chaque année davantage.

Ensuite, je dirais qu’il est difficile pour un jeune artiste de s’affirmer au Japon. Les Japonais privilégient l’expérience, pour ne pas dire l’ancienneté : un artiste qui débute n’est ainsi pas vraiment un artiste! (sourire) Si je rêve de faire toute ma carrière en France, beaucoup de Japonais ont, depuis le début du XXe siècle, tenté leur chance à l’étranger avant de revenir au Japon, seul moyen parfois de bouleverser l’ordre établi. J’ai d’ailleurs été très étonnée de la confiance des Français lors de mon arrivée à Paris : je n’étais pas connue ; pourtant j’ai pu exposer très vite, chose qui m’était impossible sur l’archipel.

Enfin, une troisième raison serait ma curiosité ! (rire) Je fais ce métier depuis presque quinze ans… Il était temps de découvrir autre chose, de me mettre en danger. Et puis, la France parle tant aux Japonais. Votre culture, votre art, tout est si différent et en même temps si proche. J’ai beaucoup mûri ici : j’ai appris à communiquer, à échanger, à m’affirmer. Et cela se ressent dans mon travail et mes aspirations. Il y a tant à explorer…  je ne me fixe plus de limites ! J’aimerais beaucoup, par exemple, créer ma propre marque de vêtements. Cela peut paraître bête, mais cette idée que ma broderie n’est pas réservée aux seuls kimonos, mais peut aussi être transposée sur des vêtements de type « occidental », je n’aurais jamais pu l’avoir en restant au Japon. De même, je brode aujourd’hui beaucoup sur papier, une matière dont la symbolique est très forte pour les Japonais. Mais là encore, des codes bien particuliers marquent son travail. Mon idée est cependant de proposer d’autres voies ou formes d’expression. Par le jeu de la broderie et de la profondeur, je crée, dans des petites boîtes, de véritables mises en scène, chacune exprimant une atmosphère, un sentiment singulier. Broder en trois dimensions est un défi passionnant.

Mika Yamada, Dragonfly (30 x 30 x13 cm),
Broderie sur boîte.
Photo : © Sasaki Hidetoyo.

Le site de l’artiste : https://www.mika-embroidery.com/

Couverture : Mika Yamada / Photo © Jérôme Pace.

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