Laurence D’Ist, commissaire d’exposition – l’Entretien

Je travaille en tant que médiatrice au Château du Val Fleury à Gif-sur-Yvette. A cette occasion, j’ai pu rencontrer Laurence d’Ist, commissaire de l’exposition « Entre les deux Jacques », confrontant les artistes Jacques Villeglé et Jacques Bosser. D’une grande gentillesse, Laurence s’est rendu accessible et m’a ainsi éclairée sur son métier et ce qu’il implique. Je vous laisse donc découvrir son parcours et ses conseils !

Bonjour, pourrais-tu tout d’abord te présenter et décrire ton parcours ?

Je m’appelle Laurence d’Ist, j’ai 4136f2e14 ans. Je suis venue au commissariat d’exposition un peu par moi-même, sans formation préalable en la matière. Je suis universitaire et j’ai effectué toutes mes études à Paris I en Histoire de l’art. Je me suis arrêtée en deuxième année de thèse car je me suis rendue compte que j’aspirais plutôt à un travail de terrain, tout en appréciant dès le départ l’art contemporain. Le tronc commun de ma licence était très large. J’ai découvert la sociologie, à l’histoire de la décolonisation, j’ai glané un peu partout. Au fur et à mesure de mon avancement dans les études, je me suis intéressée à différentes choses. J’ai ainsi réalisé un mémoire sur la gravure et plus particulièrement l’insertion de la couleur dans la gravure après la Seconde Guerre mondiale. J’avais un regard très historique à l’époque.

    J’ai suspendu ma thèse et je me suis donc demandée : « Que puis-je faire de tout cela? ». Pendant mes études, je m’étais constituée un petit réseau d’artistes mais je n’étais pas assez mûre en ayant 20-22 ans pour avoir une réelle notion du marché de l’art. C’est vaste, il faut une certaine maturité, se frotter à des univers vraiment différents. Or je connaissais ce monde essentiellement par le biais de la gravure : j’allais à la Cité des Arts, je visitais des ateliers…

J’ai rencontré des peintres, des sculpteurs, des plasticiens qui s’essayaient à la gravure et qui avaient un pied dans l’écriture, la philosophie, dans les livres d’artistes. J’ai visité des ateliers historiques d’imprimeurs, et puis je me suis dit que ça tournait en rond, on arrivait à la limite de la technique. Je sentais que c’était un petit monde formidable mais qui baignait encore dans les années 50 parisiennes, on sentait que ces gens vivaient une histoire qui s’éteignait. Des artistes du papier, je suis passée à des artistes peintres, aux grands formats, à la sculpture. C’était un tout autre univers. J’ai commencé à comprendre comment monter une exposition en étant attachée de presse.

Pourquoi as-tu commencée comme attachée de presse ?

Il fallait bien que je fasse quelque chose ! J’avais une bonne théorie historique, c’est-à-dire que j’avais été bien formée pour avoir un regard, pouvoir digérer la démarche, l’inscrire, la faire raisonner avec l’histoire de l’art, à l’actualité. Cependant je ne savais pas monter une exposition ou un dossier de presse. J’ai appris cela en étant d’abord un temps attachée de presse, pour mon propre compte. Des artistes avaient des actualités d’expositions et je me suis donc formée sur le tas en devenant leur attachée de presse. Comme j’étais très curieuse et avide d’apprendre, nous préparions l’exposition ensemble du commencement à la fin. J’ai appris en les observant et en faisant confiance à leur professionnalisme. Ça a été constructif parce que les artistes et moi étions motivés pour dépasser notre situation de départ.

En d’autres termes, j’étais avec des artistes qui investissaient en auto entrepreneur en quelque sorte dans la communication de leur travail. Certains lieux d’exposition sont prestigieux, surtout quand ils sont institutionnels, mais ils ne réalisent pas que l’artiste vit de son art et que l’investissement humain et matériel d’une exposition doit leur apporter une plus belle visibilité. Les faire connaître à d’autres publics, d’autres sphères, car le milieu de l’art est un peu comme les couches d’un oignon, une organisation concentrique avec au centre : le 1er marché de l’art contemporain, en lien avec les grands musées du monde et les grandes maisons de ventes aux enchères.

Bref, et quand la presse d’art s’est intéressée aux eux, c’est-à-dire à ces artistes auto entrepreneurs avec lesquels je collaborais, l’un d’eux m’a recommandée à la revue d’art Cimaise, et c’est alors que j’ai commencé à écrire aussi pour la presse. J’avais ainsi plusieurs cordes à mon arc. Je faisais en sorte que l’écriture dans ce cadre m’aide à monter un dossier de presse plus affiné puisque j’en lisais pas mal. J’étais dans la presse, je pouvais donc demander deux-trois fichiers de journalistes pour rebondir sur mes propres missions d’attachée de presse.

Et l’expérience qui t’a permis ton premier commissariat d’exposition ?

C’est un petit milieu que celui du monde de l’art, où il faut avoir ses antennes en alertes. Et comprendre que, sans avoir l’opportunisme chevillée au corps, chaque rencontre peut faire l’objet d’un échange ou d’une collaboration future. Dans ces petits milieux de l’art qui fonctionnent en réseau, il faut savoir se demander comment développer l’expérience offerte pour poursuivre son but. Pour moi, il s’agissait de monter des expositions d’art contemporain, c’est-à-dire réunir des artistes vivants autour d’une exposition exigeante et de bon niveau tant dans le contenu – les artistes invités et les œuvres sélectionnées – que les moyens offerts. J’insiste toujours sur la publication d’un catalogue comme d’un bel outil et d’une récompense méritée. J’écris les textes, reste vigilante à ce que les photos soient de bonnes qualités, contrôle l’impression des couleurs pour rester fidèle à l’œuvre, etc.

Quels autres principes respectes-tu quand tu montes une exposition ?

J’aime assez les expositions de groupe car cela m’offre des libertés et une originalité dans la manière dont je fais découvrir ou re-découvrir des artistes. C’est ma manière de mettre en lumière un esprit du temps présent, une ligne artistique, esthétique qui n’apparaîtrait pas sans cela évidente. Je suis historienne de l’art de formation, ça marque forcément, et sans avoir la prétention de former l’écriture d’un (nouveau) courant artistique et de le défendre, disons que je réunis dans mes commissariats d’expo une vérité que je vérifie dans les ateliers, et des sensibilités artistiques convergentes que je ressens.

C’est pour cela que les thématiques de mes expositions résultent d’une idée qui se doit de rester ouverte sur demain et les titres ont plus d’affinité avec la poésie que la dénomination d’un « isme ». « Être ainsi », « Authenitk Energie » « Femme y es-tu ? »… Je ne lis pas tout ce que font les autres lieux d’exposition en me disant : là il y a un super créneau, c’est la vague à suivre ! En cela, j’ai une place à part puisque en tant qu’indépendante, ne dirigeant pas un lieu mais étant invitée à investir ces lieux (quand ils sont ouverts aux commissariats extérieurs et indépendants), je reste concentrée sur les acteurs de l’art pendant des années autour d’une thématique dont je m’investis parce qu’elle m’intéresse et c’est ensuite que je la propose.

Que recherches-tu à diffuser dans tes accrochages ?

Quand on est formée en Histoire de l’Art, c’est un regard que l’on forme. On y met sa personnalité forcément. On croit que si on suit une idée il y aura un but, mais la recherche de ce but c’est l’inconnu. On peut aboutir comme on peut ne pas aboutir. Comme actuellement, j’ouvre mes yeux et mes antennes aux démarches qui associeraient art et écologie. J’ai appris à connaître ce qui me plait dans la recherche, ce que j’attends en fait de l’œuvre. Une alchimie à la fois d’ordre esthétique et humain.

L’accrochage est de réussir à faire résonner ces paramètres dans l’espace des salles offertes à la présentation des oeuvres. Et l’écriture des textes du catalogue complète la visibilité des œuvres présentées « en vrai ». Parce que généralement, c’est la parole de l’artiste que je rends dans les pages du catalogue. J’aime assez ça. Je ne suis pas une théoricienne, je ne suis pas une critique d’art non plus. Je rends compte d’un état de la création actuelle à travers le prisme de ma sensibilité et de mon observation.

Que faut-il savoir avant de se lancer dans le commissariat ?

Avant une exposition, en général, il faut bien blinder son sujet ! C’est un savant mélange entre avoir une idée, monter le projet, le proposer à un lieu qui peut l’accueillir. Il faut être pratique : comprendre un objet, comprendre son volume. Savoir accrocher c’est doser le rapport entre les œuvres et le volume de l’espace ; s’il est saturé, non saturé, s’il va sembler vide, s’il va sembler trop plein, comment faire correspondre les œuvres entres elles, quels moyens on a pour séparer les univers, comment on fait correspondre ou répondre les univers par des perspectives fuyantes, comment l’œil se déplace dans l’espace.

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Laurence d’Ist et l’artiste Coskun devant une oeuvre de Mario Benjamin – exposition « Authentik Energie » au Château du Val Fleury à Gif-sur-Yvette

Mais tout ça moi je ne l’ai pas appris à la faculté. Je pense que je le savais intuitivement de mes années de jeunesse quand, jusqu’à 16 ans, j’ai fréquenté les ateliers des Beaux-Arts. On apprend au fur et à mesure comment une œuvre fonctionne et puis nous sommes aidés, on ne travaille pas seul (un régisseur, des techniciens), et puis après je suis assez partisane de la concertation. On fait un essai. Même les artistes disent qu’il faut qu’une œuvre tienne. Si quand on rentre dans la salle d’exposition, il ne se passe rien c’est que l’accrochage est mal fait.

En tout cas voilà, j’en suis venue à ça, moi je pense qu’on devient pas immédiatement commissaire d’expo, c’est après avoir pu faire un peu de tout qu’on peut le prétendre : notamment la logistique des transports, des devis en tout genre, jusqu’aux caisses et autre initiatives tendant à mutualiser le maximum de postes pour réduire les coûts de tous les cotés. Avec en but : obtenir les artistes et les oeuvres qui feront que l’exposition donnera son maximum d’elle-même

Comment as-tu rencontrer les artistes qui aujourd’hui t’entourent ?

Pour se faire un carnet d’adresses il faut ambitionner de commencer par une exposition qui permet de faire référence. Il vaut donc mieux dans ce cas-là, avoir un catalogue qui cautionnent ton travail auprès des artistes. Ils peuvent te donner leur confiance dès lors. Il faut réunir les artistes en dosant intelligemment entre les reconnus et les jeunes émergeants et prometteurs. Les artistes jaugeront la qualité de ton projet à tes choix. Tout artiste est curieux et te demandera avec qui il sera. Au commissaire d’exposition de défendre la pertinence et l’intérêt de tous les réunir. Quand je pense à un artiste en particulier que je ne connais pas personnellement, je trouve le moyen de le rejoindre.

Par rapport à mes débuts, j’ai une certaine avance. J’ai parfois travaillé plusieurs fois avec les mêmes artistes, les gens reviennent si ça se passe bien, comme ici : j’ai été prise de court par des délais, j’ai contacté des connaissances qui ont bien voulu me prêter leurs œuvres.

Jacques Villeglé est un artiste emblématique et reconnu, comment l’as-tu rencontré?

C’était après mon travail d’attachée de presse pour deux artistes présentés par le Sénat (une initiative du cabinet du président d’alors) au Jardin du Luxembourg, que j’ai rencontrée une haut fonctionnaire en charge d’un événement parallèle au premier, et qui s’appelait « Artsénat ». Ça se déroulait dans l’Orangerie et un peu dans les allées du jardin alentour. Comme c’est un tout petit milieu n’est-ce pas… il s’est avéré que nous avions des connaissances professionnelles en commun. Elle m’a permis d’être co-commissaire avec une critique d’art, et ensemble on a monté l’exposition « Femme y es –tu ? » en 2007 (informations ICI et ICI). Et avec cette idée de sortir de l’Orangerie et d’investir le jardin, jusqu’aux sculptures de marbres des Reines de France autour du bassin central ; cela a été un grand succès.

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Laurence d’Ist avec les artistes Jacques Bosser et Jacques Villeglé – exposition « Entre les deux Jacques » au Château du Val Fleury à Gif-sur-Yvette

Et c’est là que l’on a fait correspondre nos réseaux toutes les deux. Jacques Villeglé je l’ai connu ainsi, j’ai gardé de bons contacts, je l’ai invité au Forum puis en Suisse au Manoir de la ville de Martigny quand l’expo a voyagé. Cela fait la quatrième fois que l’on travaille ensemble sur des choses totalement différentes.

Il faut à la fois être assez exigeant et savoir comment l’artiste va réagir, il ne faut pas se faire « griller ». Il faut savoir évaluer, avec sa propre expérience, ce qu’on peut exiger de l’artiste. Il faut être assez diplomate. Sinon ils ne reviennent pas et font mauvaise presse.

Comment s’est passée ta première exposition et as-tu déjà eu des conflits avec un artiste ?

La toute première était un co-commissariat, j’ai posé les bases, une thématique, une mise en scène. Celle que j’ai vraiment faite seule, c’était la 16e Triennale de sculptures à Poznan puis l’expérience en plein fut pour moi le Forum d’Art Plastique en 2010, ils étaient 25 artistes. Ça s’est bien passé.

J’ai bien sûr eu quelques différents avec des artistes et, étonnamment, sur des expos de plus petite envergure. Mais ce n’est pas la taille de l’exposition qui jauge l’entente entre l’artiste et la commissaire. Peut-être était-ce le mode d’expression, le « métier » de l’artiste qui préfigure ou non à des caractères plus ou moins coopératifs, agréables ? je ne sais pas. Les clashs, je les compte sur les doigts d’une seule main fort heureusement ! Il s’agissait d’artistes pionniers et chercheurs de la palette graphique et de l’outil informatique. Un univers où le stress généré par les caprices de la technique et l’obsolescence des programmes les rendent peut-être un peu plus maniaques et rigides que les autres !? Mais je ne cherche pas à faire de généralité !

Que dirais-tu à la Laurence d’Ist de 27 ans si tu la rencontrais ?

Ah, c’est marrant, car c’est à ce moment-là que je suis rentrée dans une activité en lien avec la création actuelle, sans savoir ni quoi ni comment j’allais faire. D’une manière générale, je crois qu’il ne faut pas remettre en question cette certitude que l’on a quand est jeune ado, le « c’est ça que je veux faire » qu’on a en soi comme une intime conviction et cela bien que l’on ne soit pas du milieu (de l’art) et sans savoir si on va réussir. Il faut essayer de ne jamais perdre cette vision qui n’est pas forcément un plan de carrière, mais plutôt une intuition que l’on a tous en nous.

Je suis bien placée pour en témoigner, je n’avais aucune idée de ce qu’était un commissariat d’exposition, ni par mes études, ni par mon milieu familial qui n’avait aucune relation avec ce milieu. Le monde de l’art est un milieu assez fermé où il faut avoir un peu de culot. J’ai le privilège de rencontrer ces artistes dans les ateliers, de prendre leur parole et de mettre en mots leurs idées. J’ai le privilège de pouvoir me nourrir de ce qu’ils font, de qu’ils disent, de ce qu’ils me confient, des expériences qu’ils réalisent pour répondre à mon projet d’exposition. Comme je ne suis pas marchande d’art, on peut ensemble dépasser les limites et envisager des projets plus libres. J’accompagne quand je peux des ventes, je mets en contact. Mon objectif est de créer une belle exposition, forte de ses œuvres, responsable dans sa qualité, de l’accompagner d’un beau catalogue, autant pour les artistes que pour moi. Là, je défends vraiment les artistes.

Aujourd’hui, Laurence travaille encore en lien avec la ville de Gif-sur-Yvette et s’occupera d’une autre exposition du 5 avril au 12 mai 2015, « TOO MUCH » avec Eric Liot et Bernard Pras, deux artistes emprunts de PopCulture.

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Spiderman et Banania, Eric Liot

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La Vague, Bernard Pras

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