« COMMENT BÂTIR UN UNIVERS QUI NE S’EFFONDRE PAS DEUX JOURS PLUS TARD 3/3 : ENTROPIES »

C’est lorsque l’on prend conscience de la déconstruction permanente de notre espace vital que l’on commence à capturer ce qui nous sert de repère, ce qui nous rassure.

Après « Simulacres » et « Relativités », Marie Koch et Vladimir Demoule consacrent le troisième volet de leur projet d’exposition aux « Entropies ». Cette dernière thématique vient s’inscrire logiquement dans la continuité de ce qui a déjà été présenté. Après avoir interrogé notre appréhension du réel et bousculé des données spatiales que nous pensions figées, les deux commissaires d’exposition nous invitent à présent à étudier comment le temps vient marquer l’espace et le dégrader. Et surtout, comment nous, humains, nous réagissons face à la déconstruction de notre univers.

L’« entropie », mesure thermodynamique théorisée par le physicien Clausius, fait état de la désorganisation d’un système. L’augmentation de l’entropie est inéluctable dés lors que le temps commence à s’écouler. On peut calquer ce mécanisme thermodynamique sur l’évolution d’un système de manière générale. Notre univers, celui dans lequel nous évoluons chaque seconde, serait donc voué à se déconstruire lui aussi. Alors qu’il nous sert de repère et qu’il nous semble infiniment stable, l’espace qui nous entoure est en constante dégradation. En prendre conscience est effrayant. Si l’humain a cette manie de capturer, d’enregistrer ce qu’il vit, c’est finalement par peur de voir son monde s’émietter sous ses pieds.

vue d'exposition, © Aurélie Cenno

vue d’exposition, © Aurélie Cenno

Par la photographie, la sculpture ou l’installation, les artistes tentent de fixer en image ou en volume ce à quoi ils tiennent. Il s’agit tant de souvenirs personnels que de données ou de lieux dont ils redoutent la perte. Pour contrer cette inquiétude, l’humain cherche inconsciemment à s’approprier l’espace en en créant des représentations. Il photographie ses proches, crée l’empreinte ou la carte de lieux escarpés, recense des statistiques sur le bonheur dans son pays… En confinant son monde dans des figurations, l’homme peut le contempler et le posséder symboliquement. Nandita Kumar, elle, a projeté dans une bouteille l’image d’un futur proche et inquiétant : celui de l’urbanisation indienne. En l’enfermant dans cet espace réduit, elle prévient autant qu’elle rassure : le futur est là, dans cette bouteille close.

Vue d'exposition, Felicie D'Estienne D'Orves, Etalon Lumière, © Aurélie Cenno

Vue d’exposition, Felicie D’Estienne D’Orves, Etalon Lumière, © Aurélie Cenno

Mais cette sauvegarde est vaine : tout se déconstruit. D’une part, les supports matériels s’altèrent avec le temps comme un disque qui tourne ou une photo qu’on découpe, d’autre part le réel lui-même se déconstruit. Alors que l’on croyait l’habiter, le monde se noie dans la quantité de représentations et de copies que l’homme en a fait. Nous ne le connaissons plus dans sa réalité matérielle et immédiate.

Les artistes tentent alors de mesurer ce temps qui passe et nous effraie. Félicie d’Estienne d’Orves se lance dans ce projet ambitieux avec son Etalon lumière. Avec la contribution d’un astrophysicien, elle rend visible, sur un mètre en acier, la vitesse de la lumière depuis la Terre jusqu’au Soleil et jusqu’à Mars. Alors que l’on pensait la vitesse de la lumière aussi immuable que la mesure d’un mètre, elle se révèle tangible. De la Terre à Mars, la lumière peut aussi bien mettre 3 secondes que 22… Le côté universel de la mesure est totalement déconstruit et nous offre une vision du temps plus large, moins anthropocentrique.

 

Vue d'exposition © Aurélie Cenno

Vue d’exposition © Aurélie Cenno

Quant à l’artiste Miao Xiaochin, il tente de dématérialiser, grâce aux outils informatiques, notre passé, notre histoire. Il se réapproprie les grandes références de l’histoire de l’art (notamment Bruegel et Raphaël) et les rassemble dans un montage vidéo sonore. Ainsi, il les confine dans un même univers (très psychédélique), sauvé dans une dimension immatérielle comme une archive. Il s’engage en même temps dans la création d’une archéologie contemporaine en représentant des brides de notre civilisation où la technologie tient une grande place. Ces images qui conjuguent passé, présent et futur forment finalement un cycle : une éternelle renaissance de notre univers après sa destruction.

Miao Xiaochun, Restart, 2008 - 2010, Vidéo, animation digitale 3D, 14’22” Courtesy de la Galerie Paris-Beijing Mention du copyright: © Miao Xiaochun

Miao Xiaochun, Restart, 2008 – 2010, Vidéo, animation digitale 3D, 14’22”
Courtesy de la Galerie Paris-Beijing
Mention du copyright: © Miao Xiaochun

Grâce à ce dernier volet, « Entropies », nous prenons conscience de ce qui mène l’homme à multiplier les projections de son propre monde. La démarche des artistes, qui font aussi face à la déconstruction de l’univers, est de tirer de cette inquiétude quelque chose de poétique et qui motive la création.


Du 5 octobre au 10 décembre 2016

Maison populaire, 9 bis rue Dombasle, 93100 Montreuil

Entrée libre

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