Age of Anxiety
« Il faut avoir du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse » disait Nietzsche. Pour les Etats-Unis, ce-dit chaos pourrait bien coïncider avec la période trouble que fut la Grande Dépression des années 1930. Qu’en est-il alors de l’ « étoile qui danse » ?
L’exposition qui se tient au musée de l’Orangerie nous prouve justement que l’anxiété peut se transformer en énergie créatrice. Au cœur de cet « age of anxiety » que sont les années 30, les artistes américains prennent différentes voies pour exprimer leurs craintes, leur rage ou leur soif de liberté.
Ceux pour qui la Grande Dépression apparaît comme un déboussolement se lancent en quête de leur identité à travers celle de leur nation. Les paysages ruraux ou bétonnés qui constituent leur quotidien en disent beaucoup sur leur époque. Non loin des vastes étendues de champs s’élèvent des bâtisses grises, symboles du capitalisme qui s’effondre alors. Le paysage rural est à la fois évocateur de destruction, de désertion et de renouveau. Ces terrains vierges comme des toiles blanches apparaissent comme une opportunité de fonder les bases d’une nouvelle culture visuelle.
Alors que la foi des américains dans le capitalisme s’ébranle, ces derniers prônent un retour à la terre et aux valeurs traditionnelles. Le thème de la vie paysanne, qui séduit par son aspect brut et authentique, est omniprésent. L’univers des fermiers, pourtant rudimentaire, évoque un univers stable et rassurant pour les traumatisés du Krach boursier.
Les artistes ressentent le besoin de dépeindre leur réalité contemporaine tout en portant un regard sur leur passé. En effet, c’est dans leur histoire que les américains puisent la matière de leur identité. Certains trouvent refuge dans la glorieuse époque coloniale tandis que d’autres reviennent sur des époques plus sombres qui ternissent et nuancent l’image d’un pays peuplé de héros. Thomas Hart Benton affiche quant à lui son parti pris pour l’intégration des afro-américains à la culture américaine.
Plutôt que de s’efforcer à accepter cette société en chute libre, d’autres peintres visent la libération de l’esprit par de nouvelles formes artistiques. Ils s’éloignent de la tradition figurée pour explorer l’abstraction, dont la source créatrice est, selon Pollock, l’expression de l’inconscient. C’est également sur cette idée que se fonde l’art surréaliste, inspiré aux artistes américains par quelques grandes figures européennes comme Miro ou Dali. En associant et juxtaposant librement des images, on parvient à des scènes presque onirique qui reflètent la psychologie de l’artiste. Les œuvres de Osvaldo Louis Guglielmi, par exemple, sont le miroir de sa pensée prolétarienne inquiétée par la décadence de son temps.
Les artistes ne sont pas les seuls à chercher un échappatoire à cette société en déclin. En effet, c’est toute la population qui s’enivre de distraction. Concerts, bals ou cinémas sont autant de moyens de faire face à une dure réalité. Les peintres représentent l’abondance vide, le foisonnement désespéré des divertissements auxquels la population s’adonne avec ardeur.
D’autres encore utilisent la peinture comme purgatoire. Ils expriment l’horreur et la désillusion auxquelles ils sont confrontés à travers des peintures très sombres. C’est d’abord une démarche introspective, une façon de se libérer de la haine ou de la peur qu’ils éprouvent. C’est également la projection d’une triste réalité sociale et économique et une manière de dénoncer les facettes les plus médiocres du contexte mondial de cette époque. Joe Jones, avec son American Justice, s’inclut dans cette deuxième catégorie d’artistes en montrant avec violence les dérives de la société américaine.
Ces années troubles marquent également l’âge d’or du cinéma américain. L’énergie créatrice des cinéastes comme John Ford prend le dessus sur les conditions matérielles parfois difficiles dans lesquelles les compagnies doivent travailler. Les décors et les scénarios sont bien emprunts d’un esprit sombre et chaotique, mais les productions foisonnent dans tous les registres. La technique de la colorisation qui apparaît ensuite apporte un nouvel essor au septième art, libérant des possibilités esthétiques et ouvrant les portes à l’imaginaire.
Le Musée de l’Orangerie propose, en plus de cette riche exposition, plusieurs visites-ateliers, conférences et concerts en lien avec l’Amérique des années 30. Toute la programmation est disponible sur le site : http://www.musee-orangerie.fr/fr/evenement/la-peinture-americaine-des-annees-1930.
Crédits pour la photo de couverture : Georgia O’Keeffe (1887-1986), Cow’s skull with Calico Roses (Crâne de vache avec roses), 1931, Huile sur toile, 91.4 x 61 cm. Chicago, The Art Institute of Chicago, Alfred Stieglitz Collection, don de Georgia O’ Keeffe © The Art Institute of Chicago © Georgia O’Keeffe Museum / ADAGP Paris 2016
Du 12 octobre 2016 au 30 janvier 2017
Musée de l’Orangerie
Tarifs : 9€ – 6,50€ (tarif réduit)
Gratuité pour les moins de 25 ans