Dans l’atelier d’Aurélia Deschamps

Aurélia Deschamps est une illustratrice bruxelloise. En parallèle de sa collaboration auprès de journaux majoritairement Belges – Agir par la Culture, Kairos, Editions Vite – Aurélia Deschamps mène de nombreux projets d’illustration dans l’édition jeunesse et dirige des ateliers de création dans diverses structures culturelles à Bruxelles. Son travail explore, entre autres, le dessin, le collage, ainsi que différents procédés d’impressions qu’elle se plait à expérimenter.


Hey Listen : Bonjour Aurélia ! Pourrais-tu définir ton activité ?

Aurélia Deschamps : Je suis à la base illustratrice mais je fais aussi d’autres activités en parallèle. En ce moment j’anime pas mal d’ateliers pour enfants et adultes dans différentes institutions culturelles, et je travaille aussi à l’organisation d’expo collectives. Je dirais donc que je suis d’abord illustratrice, même si je fais d’autres choses à côté.

HL : Concernant la céramique, tu en fais depuis le début en parallèle de l’illustration ou bien est-ce que c’est venu après ?

A.D : Ah non, c’est tout nouveau, ça fait seulement un an que je fais de la céramique. Ça faisait un moment que ça m’attirait, et puis, comme ça fait longtemps que je suis sortie des études, il y a un moment où tu as besoin de te nourrir de nouvelles choses… Et je me suis donc inscris à des cours du soir. Au début, c’était pour lier l’illustration à la céramique, pour voir comment je pouvais peindre sur les objets que je créais… Mais je ne savais pas du tout si ça me plairait de faire des choses en volume, et finalement c’était le cas. Le fait de réaliser un objet par la terre, a été une vraie révélation pour moi. J’ai découvert que j’avais un réel plaisir à explorer les possibilités de la terre et que je ne devais pas associer à tout prix des illustrations à mes pièces, dans un premier temps en tout cas. C’est une technique aux possibilités infinies, et il y a tellement de choses à faire que je voudrais continuer à explorer ça.

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HL : Comment tu envisages de faire évoluer cette pratique alors ? Tu souhaiterais l’approfondir ?

A.D : J’ai envie de voir jusqu’où je peux aller avec cette pratique, mais oui je me verrais bien avoir un atelier et faire de la céramique en parallèle de l’illustration. Ça ne sera pas des productions en grande série en tous cas, mais plutôt des objets ou sculptures qui seraient en lien avec ma pratique en illustration.

HL : Quels sont tes supports de prédilection ? Est-ce que tu travailles principalement sur papier ou bien certaines créations peuvent-elles naître et aboutir uniquement depuis la tablette graphique (si tu en utilises) ?

A.D : Il y a toujours un support papier, c’est obligatoire pour moi. D’autant plus que je n’utilise pas du tout la tablette graphique, je ne sais même pas comment ça marche ! Je vais peut-être m’y mettre bientôt ceci dit… Cela m’arrive de passer par Photoshop pour recomposer certains de mes éléments dessinés à la main, c’est parfois plus rapide quand tu as une commande et ça peut te permettre d’essayer plus de choses. Il y a comme une pression en moins.

HL : Et comment procèdes-tu ?

A.D : Je scanne mes dessins et je les assemble sur Photoshop, exactement comme un collage, donc le processus est identique finalement. J’essaie quand même d’avoir un maximum d’originaux, donc ce n’est pas non plus un passage systématique, parfois tout se fait sur papier du début à la fin.

HL : Quelle part occupe le dessin d’observation dans ton processus de création ? Est-ce que ça constitue une base inévitable de laquelle tu cherches ensuite à t’éloigner ou bien est-ce qu’au contraire, tu t’y réfères tout au long de la création ?

A.D : C’est marrant que tu en parles parce que j’ai fait un mémoire là-dessus ! J’ai fait beaucoup de dessin d’observation et de carnet de croquis en école, et maintenant j’en fais beaucoup moins. Mais je m’inspire néanmoins toujours beaucoup du réel, parfois par le biais d’un livre, de photographies, d’images existantes. Je transforme ensuite ce réel en le reproduisant avec ma propre vision.

HL : Un de tes anciens projets, L’oiseau d’Ourdi, est une interprétation d’un conte des frères Grimm. Qu’est-ce qu’implique une telle démarche ? Qu’est-ce qui est différent dans ta démarche lorsque tu travailles à partir d’une matière première très présente comme celle-ci, plutôt que de dessin libre ?

A.D : Fondamentalement, ça ne change rien. L’illustration, traditionnellement, se réfère toujours à un texte de toutes façons, comme c’est le cas dans L’oiseau d’Ourdi. D’autant plus qu’un conte est toujours très imagé, ce qui constitue déjà un certain univers. De manière générale, je pars très souvent d’un thème pour créer mes illustrations, mais avec ce projet, la matière première était effectivement déjà très nourrissante.

HL : A propos de conte, qu’est-ce que tu penses de l’a priori très répandu qui consiste à associer systématiquement illustration et jeune public ? Est-ce que toi tu t’adresses à un public en particulier ?

A.D : Pas du tout, je m’adresse à tout le monde. Je trouve que ce qu’il ne faut justement pas faire c’est de mettre les choses dans des cases. Souvent on relie systématiquement illustration et bande dessinée aux enfants, et c’est dommage. Parmi les raccourcis assez clichés, on me demande souvent aussi si je fais des caricatures, typiquement dans les discussions de covoiturages… Pour moi l’illustration c’est de l’art, c’est du dessin, c’est du collage, c’est beaucoup de choses ! On voit d’ailleurs qu’une évolution se fait petit à petit, vers une ouverture plus large encore : il y a beaucoup moins de barrières aujourd’hui entre art et l’illustration, et plus d’expositions de dessin contemporain qu’avant … Et en parlant de sortir du cadre, la BD contemporaine (ou alternative) sort vraiment des cases traditionnelles, au sens propre. Certains dessins se font sur des pages entières, d’autres agencent le texte complètement à leur guise, sans organiser la narration dans des cases, etc. Donc on voit que des pas se franchissent réellement en illustration. Dans ma pratique personnelle par exemple, je fais autant du dessin d’observation que des illustrations liées à un texte littéraire ou d’un thème qui me tient à cœur, des images pour la presse, des affiches pour tel évènement, ou encore des projets de livres pour la jeunesse. C’est-à-dire que ça va vraiment dans tous les sens.

HL : Concernant justement les dessins de presse que tu as produits, je pense notamment à cette illustration de buste de personnalités politiques pour le journal Kairos, est-ce que tu dois respecter certaines conditions dans ton traitement du sujet ou bien est-ce que tu as carte blanche ?

A.D : Je suis complètement libre dans mes collaborations avec Kairos, oui, d’autant plus qu’il s’agit d’un travail bénévole. Et de manière générale, quand on fait appel à toi ou qu’on accepte de te publier, c’est pour te laisser carte blanche. En créant des illustrations dans ce contexte-là, on donne notre propre interprétation de l’article, donc c’est un travail très délicat mais en même temps vraiment intéressant ! C’est super de pouvoir réagir à l’actualité comme ça, de manière très personnelle.

HL : Et comment est-ce que tu considères le rôle que tu as quand tu crées des illustrations sur des sujets d’actualités assez brûlants ? Parce qu’il y a le texte, qui bien sûr est capital, mais l’illustration doit cohabiter avec et détient un peu le pouvoir de donner une autre lecture, en filigrane…

A.D : Exactement, et ça c’est justement, pour moi, la définition de l’illustration. C’est-à-dire que le dessin, ou l’image, va donner – pas forcément une autre lecture – mais dire autre chose, en venant compléter le texte. Parce que si on illustre le texte en dessinant simplement ce dont il parle exactement, ça n’a aucun intérêt. Le dessin doit emmener ailleurs. L’illustration ajoute un peu de poésie à un texte d’actualité.

HL : Et les textes dont tu fais l’illustration, comment est-ce que tu les abordes ? Est-ce que tu te plonges complètement dedans ?

A.D : Oui. En général avec ce genre d’articles, qui ne sont pas toujours simples et qui sont assez lourds, le mieux c’est de les lire, puis de se laisser le temps de les digérer avant de revenir dessus. Il y a parfois une phrase très imagée qui surgit, et je me dis qu’il faut peut-être s’en tenir à ça, car on ne pourra illustrer toutes les idées de l’article quoi qu’il arrive. Mais l’illustration pourra donner le ton, l’ambiance de l’article.

HL : Plus récemment, on a pu voir tes illustrations sur le thème de l’interdiction à l’avortement en Irlande. Selon toi, en quoi le dessin apporte quelque chose en plus à un tel sujet ?

A.D : J’ai fait cette illustration pour soutenir la campagne « Repeal the 8TH » en faveur de l’abrogation du 8ème amendement de la constitution en Irlande interdisant l’avortement. Elle a été conçue sous la forme d’un GIF, où on voit les femmes se déplacer sur une sorte d’escalator et tourner en rond sur l’image. Il s’agissait surtout d’un engagement personnel fort pour moi. Je pense que l’image parle plus directement et peut donner une autre lecture. C’est différent d’un témoignage ou une photo. Sur cette image par exemple, j’ai voulu montrer que ce problème concernait largement tous types de personnes, en montrant des femmes de différents âges et différentes situations notamment.

HL : Quand tu choisis d’incorporer du texte dans tes dessins, à quelles difficultés peux-tu faire face ? Est-ce que la cohabitation entre ces deux éléments est risquée ?

A.D : Ce sont des questions qui m’intéressent beaucoup, effectivement ! En fait, de la même manière que pour les graphistes, quand j’intègre du texte à une illustration, le texte devient alors un élément graphique à part entière. Je le traite donc comme je traite le dessin. Et j’aime bien mettre des mots dans mes illustrations, je trouve que ça ajoute une certaine poésie.

HL : Tu le fais justement dans une série de dessins sur le thème des personnages mythologiques (Ovide). Est-ce que dans ce cas-là le dessin est né du texte ?

A.D : Oui, c’est ça. Je trouvais le texte tellement magnifique que j’avais envie de travailler dessus, et notamment d’effectuer ce travail graphique dont on vient de parler. Et c’est un questionnement qui est toujours complexe. Là, le texte était écrit à la main, et ce n’est pas toujours facile de trouver comment le traiter pour qu’il rende bien avec le dessin.

HL : Tu participes régulièrement à des expositions – au Musée de la bande dessinée à Bruxelles par exemple. Est-ce que tu considères qu’il y a suffisamment d’expositions qui mettent l’illustration à l’honneur ?

A.D : Il faudrait vraiment qu’on donne plus de moyen aux expositions d’illustrations. Il y en a heureusement de plus en plus, mais ce qui est dommage c’est qu’elles n’ont presque jamais lieu dans les musées, mais plutôt dans les petites galeries, les associations culturelles, ce genre de choses.

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HL : Est-ce qu’il serait nécessaire de concevoir des dispositifs d’expositions adaptés à l’illustration ?

A.D : Je pense au contraire que l’illustration mérite d’être exposée comme toute œuvre d’art. Ce sont des images à part entière, et il n’y a donc pas de raisons pour qu’elles ne soient pas aussi encadrées, par exemple.

HL : Quels sont tes projets actuels ?

A.D : Je suis en ce moment en train de développer plusieurs ateliers pour enfants et adultes dans des centres culturels avec mon association LES ATELIERS DU CAILLOU. Concernant ma pratique personnelle, plusieurs projets d’illustration jeunesse sont en cours, et j’aimerais les publier par la suite. A côté de ça, je suis en train d’expérimenter la risographie avec une amie imprimeuse. C’est un procédé que je n’avais jamais employé avant, et une super découverte ! Nous sommes en train de monter un projet de calendrier pour l’année 2019 avec 11 autres illustrateurs bruxellois, un projet local donc !

Je vais aussi créer une exposition collective l’année prochaine à Bruxelles, où je serai à la fois curatrice et artiste. Là, je sortirai un peu de mon domaine puisque le projet se penche sur la photographie, son détournement éventuel et son articulation avec le dessin. Ce dernier projet est très récent et il faut encore en préciser les contours… à suivre !


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