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]]>Pour ce deuxième opus des chinoiseries, nous allons nous intéresser à la tromperie et l’artifice.
François Boucher, Le Jardin Chinois, 1742
François Boucher, La Toilette, 1742
Egalement en 1742, Boucher réalise une composition typiquement galante exposant la toilette d’une
François Boucher, Le Déjeuner, 1739
jeune femme aidée de sa servante et le paravent à l’arrière fait écho au goût pour l’exotisme dans le mobilier au XVIIIème siècle. Afin de souligner cet engouement pour la décoration aux allures asiatiques, il est possible de faire référence à une autre création de l’artiste, Le Déjeuner qui date de 1739, et qui représente une scène de genre plongeant le spectateur dans le quotidien d’une famille, évoluant au coeur d’un espace décoré avec les goûts de l’époque. À l’extrémité gauche de la composition, sur une console rocaille de style Louis XV, repose une coupe couverte en porcelaine de Chine transformée en France en un pot pourri avec une monture bronze doré. Une fois de plus, il est possible de remarquer le détournement et l’appropriation d’un objet asiatique afin qu’il réponde plus justement aux attentes esthétiques du public. Enfin, un autre élément exotique est remarquable : une figurine pouvant représenter un Bouddha sur l’étagère près du miroir à l’arrière de la scène.
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Selon l’artiste, les proportions physiques parfaites subdivisent le corps en sept parties dont chacune ferait la taille de la tête. Beaucoup réutilisées par la suite, ces proportions auront une évolution avec une élongation du corps à huit têtes au lieu de sept, mais il est encore admis aujourd’hui qu’une représentation réaliste du corps comprend sept têtes.
Mais derrière cette ambiance stylistique de beauté idéale, il est possible de déceler un intérêt moral marquant. En effet, le nu héroïque est un thème particulier car à l’Antiquité, les vêtements étaient perçus comme des entraves à l’action. Le corps nu, bien qu’il expose le héros à la blessure, révèle le courage. Il faut prendre en compte le fait que la vertu soit primordiale pour la société grecque classique.
Pour les Grecs, et ce depuis la période archaïque, le corps idéal est celui du soldat, symbole de la virilité accomplie et de la fonction sociale la plus noble, comme peut l’être de le Doryphore, porteur de lance. Pour ce fait, les artistes sont à la recherche d’une forme d’eidos, c’est à dire d’une sorte d’idéalisme esthétique, de l’essence intelligible, d’un beau de référence, d’une forme unique de ce dernier. Avec cette oeuvre, Polyclète arrive au paroxysme de cette recherche du corps à la beauté harmonieuse et équilibrée, à l’eidos tant prisé par les artistes et les philosophes.
Dans le contexte du siècle de Périclès, le travail de la physionomie est un prétexte à la diffusion d’un message moral, celui d’une justesse d’esprit. Cette volonté est notamment remarquable dans la formule grecque Kalos Kagatos « beau et bon ». Dès lors ces deux qualités semblent indissociables, l’une étant causée par l’autre. Ceci renvoie à un travail complet de réalisation de soi, combinant l’âme et le corps. Par conséquent un bon développement physique était synonyme d’excellence morale. Il s’agit dès lors de créer une harmonie complète de l’homme. À travers son travail plastique, Polyclète était justement à la recherche de cette perfection et le corps n’en est que la matérialisation. La beauté physique du Doryphore illustre ses qualités, le nu est donc l’occasion d’une célébration héroïque. Ce modèle permet l’incarnation d’une beauté irréaliste qui ne peut être permise que par la création artistique.
Autre aspect révélateur qui est permis par ce type d’oeuvre : le refus de l’individualisation. En effet, le Doryphore ne fait pas référence à une personne existante. Ce type d’oeuvre, au même titre que les kouroï, est l’occasion de penser la forme corporelle en faisant abstraction des questions de ressemblance. Elle ne représente ni des êtres humains ni des dieux en particulier. Cela n’enlevant rien aux réelles tentatives de naturalisme qui sont remarquables depuis la période archaïque.
La Palestre Samnite de Pompéi
Le contexte de la redécouverte d’une copie du Doryphore témoigne d’une continuité dans la conception de l’oeuvre. En effet, l’une d’elles, datant du Ier siècle après J.-C., fut trouvée en 1797 dans la palestre Samnite de Pompéi. Cette copie à l’époque augustéenne faisait parti du décor urbain. Une palestre est un lieu d’éducation physique et intellectuelle pour les jeunes citoyens romains, il s’agissait donc d’un modèle à suivre pour les jeunes aristocrates, car cela était l’image d’un idéal physique à laquelle devait correspondre une perfection intellectuelle. Il est possible de mettre en relation la tradition du kalos kagatos grecque, avec une citation du dixième des seize Satires de Juvénal « Mens sana in corpore sano » : un esprit sain dans un corps sain. Cette dernière montre la pérennité du message délivré par l’oeuvre, ainsi que la volonté du jeune empire romain de s’établir sur les bases solides misent en place par la culture grecque, comme une sorte de légitimation de la nouvelle Rome, héritière et conquérante. En effet, les originaux étaient au début de l’empire, lors des conquêtes hellénistiques, des butins de guerre. Leur présence à Rome était le témoignage d’une victoire physique et morale sur la civilisation grecque. Cette affirmation politique est donc permise par l’art, notamment par une oeuvre aussi symbolique que celle de Polyclète, qui incarne toutes les plus grandes recherches antiques à propos de la représentation du corps. Les idéaux romains sont certes différents de ceux des grecs, mais parvenir à créer une unité entre ces deux civilisations est primordiale.
Auguste dit de Prima Porta, 2,06m; Rome, musée du Vatican
Ces différences sont notamment remarquables dans l’art en lieu même. En effet, les romains refusent cette interdiction de l’individualisation et usent politiquement de ce type de représentation. Ceci est notamment remarquable avec l’oeuvre augustéenne représentant le premier empereur, la Prima Porta, certes une oeuvre idéalisée mais qui représente un homme connu. Il est possible d’en faire un parallèle avec le Doryphore. Cette oeuvre serait inspirée de la sculpture de Polyclète, notamment en ce qui concerne les dimensions, la position et les proportions. Grâce à cela le premier empereur romain se trouve mystifié.
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]]>Bien que les européens n’aient pas attendu les temps modernes pour avoir connaissance de l’existence de l’Asie, des expéditions menées au début du XVIème siècle permirent de « redécouvrir » la Chine. Dès lors, les récits de voyages se multiplièrent et les échanges commerciaux avec l’Extrême-Orient prirent de l’ampleur. L’exportation de denrées asiatiques telles que les céramiques, la soie ou le thé contribua à susciter l’imagination et la curiosité des européens.
Afin de répondre aux attentes d’un public friand d’exotisme, les artistes entreprirent des créations donnant l’illusion d’un art oriental. Plus particulièrement, durant la première partie du XVIIIème siècle, le goût pour les chinoiseries fut prédominant dans les arts. Ces dernières seront la matérialisation d’un engouement intellectuel très marqué durant cette époque. On observera une véritable rupture avec le XVIIème siècle où les sujets seront majoritairement tirés de l’antique. L’orient fascine, il est perçu comme un monde de fantaisies, un monde idéal dénué des vices connus en Europe.
François Boucher, « Le jardin chinois » présenté au salon de 1742, qui fut conçu en collaboration avec la manufacture de Beauvais et sera décliné en une tapisserie.
Au XVIIIème siècle, les Hommes s’émancipent de cette conception égocentrique du monde. Cependant, cela engendre une inquiétude, notamment due à la conscience de l’existence d’autres civilisations développées. Le rôle de l’art est par conséquent de sublimer cette crainte et de lui conférer un statut idyllique. Les chinoiseries stimulent l’imagination des spectateurs mais aussi celle des artistes, qui peuvent s’affranchir de la rigueur des sujets antiques ou religieux. L’inexactitude des connaissances à propos de l’Asie permet de l’idéaliser et par conséquent de laisser libre cour aux interprétations oniriques des artistes. Tout le génie des artistes réside dans leur capacité à rendre fabuleux et idéal un sujet troublant et presque effrayant.
La Chine est donc perçue comme une contrée dépourvue des vices ravageant l’Europe, qui ne fut pas encore pervertie par l’homme. Plus encore, les artisans sont eux aussi fascinés par la civilisation chinoise. Notamment depuis plusieurs siècles, ceux-ci tentaient d’égaler la technique de la céramique chinoise.
© marc deville
Détail du panneau de boiserie avec la dame encensée par deux singes.
Il s’agit probablement d’un pastiche de la scène d’adoration de la déesse Ki Mao Sao peinte par Watteau et gravée par Aubert en 1729. On peut y voir aussi l’allégorie d’un des cinq sens : l’Odorat.
Ce n’est qu’en 1710 à Saxe, que la technique de la « porcelaine tendre », qui n’en n’est qu’un substitut, fut découverte. La porcelaine japonaise Kakiémon eut notamment un vif succès au cours du siècle. Les manufactures de Chantilly et de Meissen entreprirent une production de copies de ce style de porcelaine. Les motifs représentés restent exotiques, mais les formes utilisées sont occidentales. Cela permet aux artisans de répondre au charme esthétique que suggère la culture chinoise. Les mystères des civilisations asiatiques et de leurs pratiques touchèrent particulièrement les mentalités européennes. Un fort intérêt se développa notamment pour les denrées importées d’Asie, telles que le thé, dans la société européenne dès le XVIIème siècle. En ce qui concerne le thé, dont les biens-faits médicaux furent connus déjà au cours du grand siècle et particulièrement ventés par le Cardinal Mazarin qui l’utilisait pour soigner sa goutte, il fut très apprécié durant le XVIIIème siècle. En effet, c’est à cette époque, lorsque le coût de cette denrée diminua que l’Angleterre en fit sa boisson nationale. Tout cela contribua à convertir une peur de l’inconnu en une véritable admiration. Le premier artiste français ayant fait ressentir ce développement du goût européen pour l’exotisme fut Antoine Watteau. En 1715-1716, il se vit confié une partie de la décoration du château de la Muette, où il entreprit une ornementation orientaliste. En cela, il peut être considéré comme un précurseur de l’intérêt pour les chinoiseries. Cependant ce décor fut détruit, et seules des gravures en furent conservées.
François Boucher, Scène de la vie chinoise, gravé par Gabriel Huquier, Paris, 174.
L’artiste du XVIIIe qui parvient le mieux à « dompter » l’art des chinoiseries fut François Boucher. Les frères Goncourt dirent à son sujet qu’il « fit de la Chine une province du rococo ». Cet artiste suscita un véritable intérêt pour ce monde encore peu connu, et usa de cette connaissance approximative pour illustrer sa conception personnelle de la vie quotidienne des chinois du XVIIIème. La phrase des Goncourt est tout à fait représentative de la survivance du narcissisme européen, notamment dut à la longue période où ce peuple n’avait pas connaissance d’un monde extérieur au leur. Cet intérêt pour l’inconnu n’est pas spécifique à l’extrême orient. En effet, il conviendra de souligner la vive curiosité que suscite les Amériques. Rameau en fut un important démonstrateur avec l’opéra-ballet Les Indes Galantes publié en 1735, bien que les Indes auxquels il fait référence sont très approximatives, car elles englobent le Pérou, la Perse, la Turquie et l’Amérique du Nord.
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