Quand les européens modernes s’emparent de l’art asiatique #2

Pour ce deuxième opus des chinoiseries, nous allons nous intéresser à la tromperie et l’artifice.


Le but des chinoiseries n’est pas de copier l’art chinois, mais bien de l’imiter afin de tromper le public. Ce dernier, n’avait à l’époque qu’une connaissance partielle de l’Asie, provenant essentiellement des récits de voyages auxquels il avait accès. Les spectateurs et les auditeurs étaient par conséquent facilement crédules, mais il ne faut pas pour autant se méprendre sur la naïveté de ces derniers. En effet, ils étaient tout de même conscients de cet artifice et se complaisaient à participer à cette supercherie. C’est par le public et sa croyance en la véracité des oeuvres qu’il voyait, que celles-ci pouvaient prétendre à une certaine légitimité en tant que création artistique donnant l’illusion d’une composition orientale. La curiosité que suscitait l’inconnu fut dès lors une alternative intéressante aux sujets traditionnels de l’art occidental.

François Boucher, Le Jardin Chinois, 1742

Il est clair que lorsqu’on observe Le Jardin Chinois de François Boucher datant de 1742, il ne représente pas une scène tirée du quotidien asiatique. Il introduit des femmes occidentales dans une atmosphère orientale, permettant au regardeur de s’identifier aux personnages. De plus, les femmes ont certes une physionomie occidentale mais les hommes, quand à eux, sont représentés avec des traits asiatiques. François Boucher lui même n’est jamais allé en Asie , il ne connaît cette culture que par ses lectures et sa collection personnelle d’objets asiatiques. Sa perception du sujet est par conséquent fantaisiste. L’artiste crée une Chine idéale , telle que l’opinion publique du XVIIIème pouvait l’imaginer. Il s’agissait aussi de ne pas décevoir le public fantasmant sur cette idyllique civilisation. L’artiste ruse, afin de toucher plus particulièrement ses spectateurs, en transposant cette scène aux artifices chinois dans le contexte d’une pastorale qui est l’un des thèmes prédominant et largement apprécié dans l’art du XVIIIème siècle. Celui-ci fait référence à un idéal antique perdu, à une mélancolie d’un temps révolu ou d’un âge d’or, le tout dans un contexte bucolique. Ce tableau peut donc être perçu comme une pastorale orientale .
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Cette fois, l’imaginaire n’est pas sollicité par le temps mais par l’espace. En réalité, cette composition dépasse le traitement du sujet. Boucher évoque l’utopie liée à l’inconnu – la Chine – qui, pour l’Homme du XVIIIème siècle, évoque autant de mystères que l’Antiquité . Il n’en connait que très peu, seulement ce que qu’il lui a été permis de connaître grâce aux écrits et à l’art. Les hommes des Lumières fantasmaient autant sur les mystères des politiques orientales que sur l’idéal sociétal de la Grèce antique où un système monarchique n’avait pas lieu d’être. L’autre nom du Jardin Chinois est La Toilette , pour cette raison, ce tableau s’inscrit d’autant plus dans le contexte des tableaux « rococos ».

François Boucher, La Toilette, 1742

Egalement en 1742, Boucher réalise une composition typiquement galante exposant la toilette d’une

François Boucher, Le Déjeuner, 1739

jeune femme aidée de sa servante et le paravent à l’arrière fait écho au goût pour l’exotisme dans le mobilier au XVIIIème siècle. Afin de souligner cet engouement pour la décoration aux allures asiatiques, il est possible de faire référence à une autre création de l’artiste, Le Déjeuner qui date de 1739, et qui représente une scène de genre plongeant le spectateur dans le quotidien d’une famille, évoluant au coeur d’un espace décoré avec les goûts de l’époque. À l’extrémité gauche de la composition, sur une console rocaille de style Louis XV , repose une coupe couverte en porcelaine de Chine transformée en France en un pot pourri avec une monture bronze doré. Une fois de plus, il est possible de remarquer le détournement et l’appropriation d’un objet asiatique afin qu’il réponde plus justement aux attentes esthétiques du public. Enfin, un autre élément exotique est remarquable : une figurine pouvant représenter un Bouddha sur l’étagère près du miroir à l’arrière de la scène.

Les chinoiseries sont à l’art chinois ce que le « rococo » est à l’art baroque, le même procédé de démocratisation de l’art est opéré. Il s’agit de simplifier un art complexe, l’un étant destiné à un public aux moeurs étrangères et l’autre à un public particulièrement instruit et cultivé.

Ce type de supercherie artistique est présente dans toutes les formes d’art, notamment la musique. En 1730, le quatrième – et dernier – livre de pièces de Clavecin de François Couperin , témoigne de ces jeux mélodiques fréquemment utilisés dans les travaux musicaux du mouvement baroque au cours de la première moitié XVIIIème siècle.
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Dans le « mini-ballet » Les Chinois de François Couperin, le musicien use lui aussi de la supercherie artistique . Il ne fait en effet que simuler une mélodie aux résonances asiatiques. Le clavecin est un instrument strictement européen et Couperin se plait à créer un art imagé afin de créer une incarnation sonore de l’admiration pour l’exotisme . La musique traditionnelle assimilée à une culture devient alors une source d’inspiration pour les artistes. Cette connaissance de sonorités asiatiques est significative des relations qui étaient celles de la France avec la Chine, Couperin n’était pas un ethno-musicologue, il n’avait certainement jamais entendu de musique chinoise, tout comme ses contemporains. Cette pièce est issue du 27e ordre du livre, la suite musicale étant organisée, elle est par conséquent cohérente.
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La pièce qui précède Les Chinois , est intitulée Les Pavots . En Europe, cette fleur est caractéristique de l’Asie et de la production chinoise d’opium. Les occidentaux perçoivent donc cette plante comme symbole de perte de conscience, d’ évasion psychologique , mais aussi la sensation que l’art, aussi bien pictural que musical, devait produire. Le fait de créer une musique « orientalisée » peut s’expliquer par deux hypothèses : soit par un manque de connaissances en ce qui concerne la musique strictement chinoise, ou justement, par une parfaite connaissance des goûts des « oreilles » du XVIIIème siècle qui étaient alors avides de dépaysement mais qui n’appréciaient pas nécessairement une musique qui leur était trop peu familière.
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La musique tient une place primordiale dans les salons littéraires du XVIIIème siècle, lieu de prédilection des savants ayant la volonté de transmettre leurs opinions. Il s’agissait d’un prétexte social pour que les écrivains fassent connaitre leurs travaux. Cela est aussi applicable aux compositions musicales qui rythmaient ces rencontres philosophiques.
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