Julien Coquentin, souvenirs et sensations
Rencontre avec un photographe-conteur qui, par ses images et ses textes, nous transporte dans des fictions sans jamais quitter la terre.
C’est d’abord par ses photographies d’églises que j’ai découvert Julien Coquentin. Ce fut, je crois, une belle porte d’entrée vers son univers. Natif et habitant de l’Aveyron, Julien Coquentin est un photographe « assez sauvage et solitaire » , comme il le dit lui-même, mais aussi un infirmier. Père de trois enfants, sa rencontre avec la photographie remonte à l’époque où sa grand-mère lui confiait ses vieux appareils. Sans vraiment en maîtriser le fonctionnement, il a d’abord fait des images lors de ses premiers voyages. Ensuite, raconte-t-il, « la photographie s’est emparée de mon existence quelques temps avant que ma première fille ne vienne au monde. Je crois qu’il s’est alors agi de trouver l’outil pour une exploration ininterrompue. Voilà 10 années que je photographie et c’est un peu comme s’il s’agissait de la première, tant il me reste à découvrir. Je remonte doucement le courant et m’initie, ces jours-ci confinés, aux joies du sténopé. »
Julien Coquentin a aujourd’hui son univers propre, à l’esthétique singulière . Des paysages brumeux, des lumières douces sur la pierre, une odeur de humus qui s’efface dans l’humidité. Ses images respirent, elles convoquent les sens et les souvenirs, elles aspirent le regard et le corps dans une profondeur enveloppante. Il capture l es textures, la matérialité des choses , leur sensorialité. « Faire face à son objet, à sa matière, tourner autour pour en dire la sensation. Ce sont là des émotions que je retrouve aussi en forêt, on s’y ressent littéralement happé par l’élément, comme si la matière végétale, à la manière d’un grand tout, cherchait à vous confondre. »
« Faire face à son objet, à sa matière, tourner autour pour en dire la sensation. »
Invocatrices de souvenirs, d’ambiances et d’odeurs, ses images provoquent un voyage dans le temps, celui de notre propre mémoire ou de notre imaginaire. Dans Saisons Noires , il est d’ailleurs question d’une odeur qui vient réactiver des images d’ enfance . La photographie a-t-elle ce pouvoir de convoquer les souvenirs, autant que les sens le peuvent ? « L’odorat est tout de même un sens très particulier qui a ce pouvoir de « stupéfier », par un voyage dans le temps fugace, mais ô combien brutal et délicieux. Cependant, bien sûr que la photographie nous transporte dans les époques, peut-être d’ailleurs n’a-t-elle guère d’autre fonction que celle-ci. »
J’aurais d’abord qualifié la démarche de Julien Coquentin de « documentaire », pour plusieurs raisons qui m’apparaissaient évidentes, avant de remettre en question mes définitions. Il faut dire que le genre documentaire a beaucoup évolué depuis ses débuts et qu’il n’est pas évident aujourd’hui de l e séparer clairement de la photo graphie « plasticienne ». Julien Coquentin fait remarquer : « Il me semble que les frontières entre les genres photographiques ont tendance à s’estomper, c’est un lieu commun que de le dire. » Il se considère plutôt comme « un auteur, car la chose qui me plaît est bien de raconter des histoires. » Deux de ses séries, Saisons noires (réalisée sur ses terres d’enfance) et Tôt un dimanche matin (réalisée à Montréal), auxquelles il a consacré pour chacune deux ou trois ans, pourraient appartenir quant à elles à la photobiographie. Une forme de documentation, mais pas tout à fait celle du documentaire dans laquelle Julien Coquentin ne se reconnaît pas tellement, par manque de formation dans cette pratique spécifique.
« La chose qui me plaît est bien de raconter des histoires. »
En parcourant l’ensemble de son travail, j’ai été frappée par le potentiel fictionnel que portent ses images. Les présences humaines, qu’il s’agisse de passants d’un instant ou d’individus sur qui il prend le temps de s’arrêter pour un portrait, ont tous des auras de personnages de roman. Ils sont dans une telle harmonie avec leur environnement, comme ancrés dans des mondes sans faille, qu’il en sort une impression d’univers cinématographique et de mise en scène. Julien Coquentin explique : « René et Ginette (qui apparaissent dans La Dernière année et Saisons Noires ) appartiennent à un conte, leur monde a disparu, et je crois que cette existence recroquevillée sur ce bout de terre ferait un très bon sujet de roman. Je ne force donc pas le trait. La lumière de la bergerie est une des plus belles qu’il m’ait été donnée de photographier, les innombrables toiles d’araignées font office de diffuseurs, ils sont vêtus à l’ancienne, bref toutes les conditions étaient réunies pour que ces « présences humaines » fassent reliefs. »
« René et Ginette appartiennent à un conte, leur monde a disparu. »
Ses photos sont toujours accompagnées de textes très poétiques. Ils ne sont pas là simplement pour décrire la série ou pour en situer le contexte, mais pour apporter une lecture parallèle aux images, pour ouvrir à d’autres univers, d’autres temporalités, particip a nt à cette dimension fictionnelle. La série Tropiques , par exemple , commence ainsi :
« C’est un vieil homme dont je lave le corps chaque matin. Une chambre sans caractère, le silence, une île. J’ignore s’il parle ma langue, monsieur Yu est né en Chine. »
On comprend ensuite que les photographies de la série, dans lesquelles monsieur Yu n’apparaît pas, sont comme des divagations de l’esprit, des images mentales qui surgissent de ce lavage du corps.
« Je convoite au long du corps l’existence de monsieur Yu, tel le paysage du volcan exprimant nettement par l’érosion, les soubresauts de la terre, les années, les semaines déroulées. Je songe au long voyage, les mois dans la moiteur du bateau, l’Océan Indien de part en part. »
Sans ce texte qui l’accompagne, cette magnifique série n’aurait pas le même écho. Elle garderait toute sa beauté, mais raconterait autre chose, un autre paysage, un autre voyage. Tropiques est finalement « un conte, entrelacement d’images et de cinq nouvelles (à paraître en septembre) ».
Son travail est aussi marqué par des rencontres avec des lieux. Plusieurs villes, comme New York, Tokyo, Rome, mais aussi par des îles : Borneo en Asie du sud-est, ou encore Ouessant, au large de la Bretagne, à laquelle il a consacré la très belle série Après la mer . « Ouessant est un endroit particulier. Presqu’en dehors du monde pour celui ou celle débarquant du continent. Nous habitions une maison avec un piano qui souffrait de l’océan, c’était il y a cinq ans. Des livres, dont l’île était le thème essentiel, sur toutes les étagères, le ressac dans le lointain. J’ai été littéralement happé par l’endroit. » Ces images sont elles aussi porteuses de fiction. Comme si le ciel grondant, les maisons solitaires, les roches et les écumes étaient des paysages de roman, prêts à être animés par des personnages, des mystères ou des drames.
Pour finir, Julien Coquentin partage avec nous certaines de ses inspirations et certains des artistes dont il aime s’imprégner :
Musique : Soap & Skin
Mais aussi les Impromptus de Schubert
Lecture : Contes des mers du Sud de Jack London (qui lui ont inspiré Tropiques )
Photographie : Bryan Schutmaat
La parution du livre Tropiques est prévue pour septembre.
D’ici là, je vous invite vivement à parcourir l’univers de Julien Coquentin sur son site internet .
Vous pouvez aussi le retrouver sur la plateforme collaborative Hans Lucas , dont il est membre.