KAREL APPEL – Peindre comme un enfant enragé
L’exposition Karel Appel au Musée d’art moderne nous propose non seulement de suivre le chemin d’un artiste inclassable, mais aussi de bousculer nos vieilles idées sur ce que la peinture devrait être.
Avant même d’entrer dans la première salle de l’exposition, une immense sculpture annonce la couleur. C’est un assemblage incongru de Singing Donkeys , des ânes en papier mâché, chantant et ouvrant grand la gueule. Ces animaux hilares semblent nous prévenir : « Ce que vous allez voir sort de l’ordinaire ! Laissez donc à l’entrée vos vieilles idées sur l’art ! « . On ne peut que se précipiter vers la première salle, impatients de découvrir le travail de Karel Appel…
L’artiste hollandais, décédé en 2006, fut un membre du groupe CoBrA. Lui et ses camarades étaient guidés par l’expérimentation et la sensibilité immédiate, en opposition aux tendances abstraites rationnelles de l’époque. Souvent expressionnistes, parfois surréalistes, les œuvres de Karel Appel récusent l’appartenance à tout courant artistique trop figé. Son travail n’a cessé d’évoluer tout au long de sa vie et c’est bien ce dont témoigne cette exposition au Musée d’art moderne.
La naïveté assumée dans ses toiles peut surprendre. « Un enfant aurait pu le faire », « Ce n’est très pas fin » s’indignent les visiteurs inhabitués.
Effectivement, l’artiste délaisse toute technique académique et développe un style bien à lui, entre l’abstraction et la figuration expressionniste. Dans ses débuts, il peint principalement des enfants, des danseurs ou des animaux. Quelque chose saute aux yeux : ces personnages, en apparence naïfs, dégagent une angoisse grandissante, parfois une incroyable violence. Ce ne sont pas des enfants qui jouent gaiement et des scènes harmonieuses qu’il représente, mais un Enfant en flammes , un Effroi dans l’herbe.
Karel Appel aurait été marqué par la vision d’enfants errants, au sortir de la guerre. L’aspect primitif de ses peintures ne serait-il qu’un baume pour soigner des plaies, se protéger des horreurs qui marquent son époque ? « Je peins comme un barbare dans un monde de barbares » déclare lui-même l’artiste.
Sur un mur de la salle d’exposition est présenté un court film dans lequel on découvre Karel Appel à l’œuvre. C’est un véritable corps-à-corps entre l’artiste, la peinture, les outils et la toile. Il fait la moue, grince des dents, rugit. Il met toute son âme dans ces aplats de couleurs, dans ces projections violentes de matière. Puis il boit un café brûlant et signe rapidement en bas à droite. Son geste est tout à fait primitif, mais… naïf ? Pas vraiment.
Plus tardivement, Karel Appel développe un style quelque peu assagi. Son trait semble moins tourmenté, les formes se sont solidifiées et il emploie des couleurs flamboyantes. Il réalise des reliefs à mi-chemin entre peinture et sculpture. Son travail est imprégné d’un esprit pop qu’on ne lui connaissait pas. Cette période ne dure pas, puisque l’artiste renouvelle encore son style au début des années 80.
Ses peintures se déploient sur d’immenses pans de murs, avec une expressivité plus maîtrisée qu’à ses débuts. Il réalise des scènes narratives, toujours imprégnées de cette grande violence masquée par une apparente naïveté. Il peint aussi des corps, surtout des nus féminins, avec un style graphique légèrement épuré. Les dernières sculptures qu’il réalise (comme les Singing Donkeys du début) sont des associations d’objets donnant naissance à des compositions tout à fait surréalistes.
Karel Appel se procure des sculptures d’animaux, récupérées on ne sait où. Le rendu final a quelque chose de tout à fait enfantin puisqu’il évoque les manèges, les chars de carnaval. Mais, à l’image du reste de l’exposition, ces œuvres présentent un autre aspect moins évident. Elles ont quelque chose de mélancolique, comme les restes d’une insouciante soirée festive. Ce sont les ruines d’un paradis perdu, que Karen Appel tente de faire revivre.
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
Du 24 février au 20 août 2017
Tarif plein : 10€ ; tarif réduit : 7€
10h-18h du mardi au dimanche et nocturne jusqu’à 22h les jeudi