L’art comme thérapie
Les « nouvelles thérapies » ne cessent de se multiplier dans les hôpitaux et les cabinets. Et si la peinture, le théâtre ou la musique pouvaient remplacer le divan du psychanalyste ?
Depuis quelques années, on voit se déployer sur les rayons des grandes libraires des rangées de livres de coloriage. Sur la couverture apparaît systématiquement ce terme mystérieux : « Art-thérapie », parfois suivi d’«Anti-Stress » ou de « Calme ». Que promettent réellement ces jolis motifs aux lignes arabesques ?
Ceux qui ont tenté l’expérience sont généralement d’accord pour reconnaître au coloriage des qualités relaxantes. Déjà, on trouve un certain plaisir régressif à ressortir du placard les crayons de couleurs longtemps laissés dans la poussière (ou utilisés exclusivement par les enfants du foyer). Tailler les mines arrondies, trier les crayons en suivant les couleurs de l’arc-en-ciel et enfin sélectionner la teinte idéale pour remplir les formes vides… C’est l’occasion de décompresser en s’octroyant un moment juste pour soi. C’est également une façon de réapprendre à se concentrer et à s’appliquer en s’adonnant à une seule et unique tâche.
Mais l’art-thérapie ne se limite pas aux coloriages, loin de là ! C’est en vérité une activité très réglementée, qui peut être utilisée dans le milieu hospitalier ou dans des cabinets de psychologues et psychanalystes.
Lorsqu’il s’inscrit dans une démarche thérapeutique, le processus artistique ne vise pas à « faire du Beau » mais à permettre l’expression de soi et à améliorer le bien-être.
Initiée par Hanz Prinzhorn en 1919 , la pratique thérapeutique des arts est d’abord réservée aux personnes atteintes de maladies psychiatriques lourdes comme la schizophrénie. Rapidement, la discipline s’ouvre au traitement d’autres pathologies. Aujourd’hui, elle accompagne aussi bien des personnes souffrant de troubles psychiatriques, psychologiques ou relationnels que des patients atteints de handicap ou de maladies somatiques. Les art-thérapeutes peuvent également intervenir dans des milieux « fragiles » comme des prisons, des centres de réinsertion ou des camps de réfugiés. Et de plus en plus, les ouvrages de développement personnel s’intéressent eux aussi à l’art-thérapie et aux techniques de créativité.
Comment expliquer que l’art puisse soigner ?
Pourquoi ne pas s’en tenir à une thérapie plus classique avec un psychologue, un psychiatre ou un psychanalyste ? Pour répondre à ces questions, il faut d’abord comprendre ce qu’implique le processus de création. Lorsqu’un artiste produit une œuvre, il emploie une certaine forme de langage qui dépasse notre vocabulaire du quotidien. Ce langage lui permet de s’exprimer et de communiquer sans être limité par les mots. En art-thérapie, il est intéressant d’analyser à la fois le processus de création d’un patient et le résultat de son travail. En effet, la manière dont un individu peint, sculpte ou danse peut en dire beaucoup sur sa manière de penser et de voir le monde. Et enfin, lorsque l’on observe l’œuvre finie, on se rend compte que l’inconscient du créateur y est révélé par des images ou des symboles.
La discipline de l’art-thérapie recouvre non seulement les arts plastiques mais aussi l’écriture, le théâtre, la musique et la danse.
Au sein même des arts plastiques, il existe de nombreux médiums qui peuvent être utilisés selon les besoins du patient. Les art-thérapeutes ont souvent recours au dessin et à la peinture, qui permettent la création d’images figurées ou abstraites, en noir et blanc ou en couleurs. Les crayons peuvent être plus ou moins gras, la peinture plus ou moins fluide… Il est important de choisir des outils adaptés pour mettre le patient en confiance et lui permettre de créer sans se préoccuper de l’aspect technique. Il est également intéressant d’utiliser le modelage, c’est-à-dire la sculpture sur une matière malléable. En effet, cette technique octroie le droit à l’erreur et la sculpture peut être retouchée à tout moment. Le contact direct avec la matière peut procurer beaucoup de bien-être chez les patients. Le modelage permet surtout de représenter un objet, une situation ou un personnage en trois dimensions et ensuite de s’y confronter.
Toutefois, produire une œuvre à partir d’une feuille blanche ou d’un bloc d’argile demande du courage, de la confiance et une capacité à lâcher prise, ce qui peut poser problème dans le cas de certaines pathologies. Ceux qui auront du mal à créer à partir de rien se tourneront plus facilement vers le collage ou le jeu de sable, qui offrent déjà une matière à travailler. Dans le collage, les patients sont amenés à assembler des images ou objets récupérés pour créer leurs propres compositions. Dans le jeu de sable, l’art-thérapeute met à disposition un grand nombre d’objets et figurines que le patient disposera dans le sable à sa guise. Il peut ainsi reconstituer ou symboliser des situations qui sont à l’origine d’une souffrance psychologique ou d’une crise relationnelle. Comme avec le modelage, il se trouve confronté à la tridimensionnalité et peut prendre de la distance avec l’objet représenté. Par exemple, dans le cas de phobies ou d’angoisses liées à un événement traumatique, le patient pourra reconstituer la scène et comprendre ce qui l’a marqué ou choqué.
L’écriture peut aussi être une excellente méthode d’expression de soi et de résolution de conflits. Les patients peuvent pratiquer l’écriture spontanée, mais aussi le dialogue écrit ou la poésie. Pour éviter l’angoisse de la page blanche, il est possible de prendre pour support une image existante et d’écrire ce qu’elle inspire au patient. Les artistes surréalistes avaient bien compris à quel point l’écriture spontanée pouvait éclairer l’inconscient en donnant naissance à des images pleines de symboles.
L’art-thérapie comprend également la pratique du théâtre et des marionnettes, appelée « drama-thérapie ». Cette méthode permet de revivre certains événements conflictuels ou traumatiques et de les analyser en s’en faisant spectateur. Elle permet aussi de se projeter dans le changement et dans l’amélioration d’une situation. Les drama-thérapeutes proposent souvent des exercices de théâtre aux personnes qui ont du mal à communiquer ou qui présentent des troubles relationnels. Ils interviennent parfois dans des entreprises pour favoriser la cohésion et l’entente entre les employés.
La musique est aussi reconnue comme étant d’une grande aide lors des thérapies. Elle peut servir de toile de fond lors de la création ou être pratiquée par les patients eux-mêmes. Elle est souvent utilisée lors des séances en groupe pour créer un support commun. Les musiques choisies par le musicothérapeute ne doivent pas être trop envahissantes pour ne pas monopoliser l’attention du groupe, mais elles doivent être suffisamment riches pour susciter l’imagination et l’inspiration. Une autre méthode consiste à faire jouer le groupe à partir d’une œuvre visuelle. Ils doivent se laisser porter par ce que leur inspire la peinture ou la sculpture présentée. La musique contribue au bien-être général : elle peut réduire les symptômes liés à la dépression et peut soulager la douleur des patients dans les cas de maladies somatiques.
La musicothérapie peut être associée à l’expression corporelle dans les ateliers de danse-thérapie. Mettre son corps en mouvement, seul ou avec un partenaire, peut sembler difficile pour ceux qui n’en n’ont pas l’habitude. Mais une fois que la confiance est installée et que les patients osent se lancer, les bénéfices sont quasiment immédiats. La danse leur apprend à écouter leur corps, leurs besoins et leurs désirs. C’est une manière de vivre pleinement l’instant présent et de s’approprier l’espace. C’est aussi une façon de se libérer des émotions négatives et de retrouver un sentiment d’harmonie. La danse-thérapie est particulièrement proposée aux personnes souffrant d’anxiété, d’addictions et de troubles du comportement alimentaire. Elle est aussi recommandée aux personnes atteintes de la maladie de Parkinson.
Les nombreuses pratiques artistiques que nous venons de citer peuvent être utilisées simultanément au cours d’une thérapie, mais également couplées lors d’une même séance. C’est ce que l’on appelle les « approches mixtes ». Les plus connues d’entre elles sont l’association arts visuels/théâtre et danse/musique. Mais de nombreux thérapeutes explorent d’autres approches et continuent de chercher les méthodes les plus complètes.
Il y a encore beaucoup à dire sur l’art-thérapie. Si vous voulez comprendre comment fonctionnent les différentes approches de l’art-thérapie, rendez-vous au prochain épisode ! On vous parlera de Freud et de Jung, mais aussi de phénoménologie et de gestalt-thérapie 😉
Source : Johanne Hamel et Jocelyne Labrèche, Art-thérapie , Larousse Poche, 2015
Top image, crédits : Gaëlle Hubert