Jung, l’art et la psyché

Si vous avez bien lu le précédent article de la série « L’art comme thérapie », vous avez compris à quel point le travail de Freud a été déterminant dans la construction de l’art-thérapie.

Mais ce cher Sigmund est loin d’être le seul à s’être intéressé à la création artistique. Comme promis, c’est à un contemporain de Freud que nous nous intéressons aujourd’hui. Il s’appelle Carl Gustav Jung et il a été psychiatre en clinique avant de créer sa propre discipline : la psychologie analytique. Nous n’allons pas nous attarder sur sa relation conflictuelle avec Sigmund Freud, mais il faut savoir que leurs théories et méthodes divergent sur plusieurs points, notamment à propos de l’origine des névroses et de l’organisation de l’inconscient.

La psychologie analytique développée par Jung repose sur l’idée que nos actes ne sont pas guidés uniquement par un inconscient personnel, c omme le soutient Freud, mais aussi par un inconscient collectif, commun aux individus d’une même société. Dans l’inconscient collectif, on trouverait des figures (appelées « archétypes ») comme le Soleil, l’Enfant-divin, l’Ombre ou encore l’Arbre de vie. Ces figures varient d’un mythe, d’une religion ou d’une civilisation à une autre, mais ils sont toujours porteurs d’une même symbolique. L’Ombre, par exemple, correspond à la partie refoulée de nous-même, à ce que nous cachons par honte ou par peur du jugement. C’est par exemple le Mr Hyde dans l’œuvre de Stevenson, c’est aussi le cygne noir du Lac des cygnes. Mais attention, les archétypes ne se manifestent pas de la même manière chez tous les membres d’une société.
Chaque individu « assimilera » un archétype à sa manière en fonction de son inconscient personnel, c’est-à- dire en fonction de ce qu’il a vécu. Pour Jung, il ne faut pas chercher à éradiquer la névrose, mais plutôt à trouver un équilibre entre les contenus qui semblent s’opposer dans sa psyché. « Ce que le malade doit apprendre, ce n’est pas comment on se débarrasse d’une névrose mais comment on l’assume et la supporte. » Il faut donc aider le patient à prendre conscience de sa personnalité propre. Pour cela, il est nécessaire d’enclencher un processus d’ « individuation », qui consiste à distinguer son individualité de la collectivité.

Puisque l’exploration de soi-même est largement facilitée par la création artistique, l’art-thérapeute qui s’inscrit dans une démarche jungienne va accompagner le patient dans la production d’images (peinture, dessin, objet). Il va ensuite tenter d’effectuer une analyse de la création en suggérant des correspondances entre ce qui est représenté par le patient et les archétypes théorisés par Jung. Au lieu, comme Freud, d’interpréter les symboles en s’appuyant uniquement sur le vécu de la personne et son approche de la sexualité, les art-thérapeutes jungiens vont enrichir l’analyse en tenant compte des archétypes, qui relèvent de l’inconscient collectif. Cette méthode est à la fois plus ludique et plus ésotérique.

Dans ce cadre, la création vise à représenter les différentes facettes de la personnalité du patient en les distinguant de l’inconscient collectif. Il va en effectuer une synthèse visuelle dans le but de les accepter. Cet exercice de synthèse s’effectue en quatre étapes qui abordent les quatre archétypes principaux : la persona (l’image que nous renvoyons aux autres), l’ombre (les aspects cachés/refoulés de notre personnalité), l’anima-animus (notre rapport au sexe opposé) et le Soi (la totalité de notre être).
Chaque séance permettra l’exploration d’une figure à travers l’image et pourra être suivie ou précédée d’un dialogue. Le rôle du thérapeute va être à la fois de mettre à l’aise le patient et d’évaluer le contenu de sa production plastique. Il va notamment être attentif aux couleurs utilisées et à leur répartition dans l’espace : est-ce que ce sont les couleurs sombres ou les couleurs claires qui prennent le dessus ? Quelles peuvent être la symbolique de ces couleurs ? Il va aussi s’intéresser à l’organisation des figures sur le support : sont-elles disposées de manière harmonieuse, désordonnée ou selon un schéma binaire ? Un élément s’impose-t-il face à l’autre ? En travaillant à la fois sur les archétypes et sur les aspects uniques et individuels de l’image, il devient plus évident de construire une vision d’ensemble de la personnalité du patient. C’est à partir de ces supports visuels que va pouvoir s’opérer un changement concret sa vision de lui-même et sa manière d’appréhender les choses.
Il est difficile de se rendre compte de ce à quoi ressemble une séance d’art-thérapie d’approche jungienne, mais vous pouvez vous initier vous-même en étudiant les archétypes et en réfléchissant au sens qu’ils ont pour vous. Encore mieux, vous pouvez prendre vos crayons ou vos pinceaux et faire votre propre synthèse visuelle, votre propre « blason »…
Leave A Comment

You must be logged in to post a comment.