La Beat Generation au Centre Pompidou
Depuis le 22 juin maintenant le centre Georges Pompidou nous propose au dernier étage de son bâtiment haut en couleur une exposition consacrée au phénomène culturel qu’a été la « Beat generation ». L’aventure s’achève le 3 octobre, voici les raisons pour lesquelles la visite est incontournable.
L’événement se vit comme une expérience et se lit comme un carnet de voyage. Ainsi la scénographie, savamment pensée, s’improvise carte des Etats-Unis d’Amérique en créant une ligne de démarcation entre l’activité artistique de la côte Est et celle de la côte Ouest. Cette frontière imaginaire est matérialisée par le manuscrit original sous forme de rouleau du roman manifeste de Jack Kerouac On the road. Il ne s’agit donc pas seulement de transmettre une mode, une effervescence artistique liée à un contexte précis mais bel et bien une philosophie de vie, tournée vers la route.
Techniquement parlant le rouleau en lui même ne permet pas au lecteur de revenir en arrière aisément, aussi il se conçoit dans l’exposition comme une métaphore du voyage. L’idée de circulation est indéniablement à l’honneur. Certains poèmes sont inscrits sur des pans de tissus, l’installation des murs dans l’espace offre des jeux de perspective et de superposition infinis. La scénographie est bâtit comme un vaste courant d’air. Elle symbolise la circulation des idées, la cause profonde du combat des Beats face à une Amérique réactionnaire et archaïque sous bien des aspects.
Cependant pour encourager son évolution positive et permettre d’entretenir un espoir de changement il était nécessaire de la cerner cette Amérique. Aussi la visite regorge de précieux documents témoignant du désir des intellectuels et artistes de dresser un portrait aussi réaliste qu’acerbe de leur pays. Le recueil de photographie de Robert Franck Americans 1958 en collaboration avec Jack Kerouac qui a écrit la préface constitue un exemple type. Il met en vedette ces personnages de la vie quotidienne aux Etats-Unis, ces macs, ces vieilles personnes à l’air désabusé qui semblent avoir pour unique préoccupation l’attente silencieuse et journalière sur les bancs publics ainsi que bien d’autres spécimens. Ces témoignages ont cultivé l’envie de tracer la route en encourageant la perte volontaire de repères.
C’est à partir de cette dernière que les Beats se sont appropriés les objets de leur quotidien pour s’en créer de nouveaux, d’avantage en adéquation avec leurs aspirations artistiques et intellectuelles. La disposition de l’exposition, encore une fois, a su rendre parfaitement cette réalité en présentant au public des exemples de machines à écrire, radio… L’écriture ne peut se passer de son instrument pour les Beats. Le simple son qu’émet l’inscription sur le papier d’un signe suivit du retour de chariot permet de jouir et d’entretenir pendant la création une expérience plus vivante de l’écriture. L’acte d’écrire transforme l’auteur en musicien et c’est en cela qu’elle est si jubilatoire.
Par conséquent la forme intimement reliée au fond prends des allures d’impros de jazz, les respirations saccadées du texte apporte une dynamique nouvelle et poétique puisqu’intrinsèquement musicale. Cette débordante énergie trouve sa parfaite expression dans le film Pull my daisy présenté juste après les machines à écrire dans la scénographie. Réalisé par Robert Frank en 1959 toujours en collaboration avec Jack Kerouac mais aussi Alfred Leslie, Peter Orlovsky, le document met l’accent sur la nonchalante narration de la voix off, l’unique voix du film. Ainsi les intonations rythmées du narrateur en écho avec la piste de jazz en fond constituent un manifeste, l’art poétique de la « beat generation ». Cette esthétisation systématique de la vie a contribué à élaborer une attitude, une posture type, celle du hipster. Un personnage constamment tourné vers l’expérimentation, une recherche permanente et surtout l’entretien du dialogue entre les différents supports. Une conception de l’art que le réalisateur Bruce Conner a exploité plus que quiconque dans son film Looking for mushrooms (projeté lors de l’exposition) qui met en parallèle l’activité atomique de l’armée américaine avec la recherche de champignons hallucinogènes. Les deux univers paradoxaux que le film confronte par la voie de l’art s’épousent parfaitement. Cependant l’intérêt du document aujourd’hui est surtout d’esquisser un projet de dispositif.
L’exposition nous propose donc de découvrir une des origine du dispositif artistique lui même parent de la performance. Bien d’autres tentatives d’installations de l’époque sont à découvrir à Beaubourg dans le cadre de l’événement.
« Beat generation » regorge de richesses aussi bien au niveau de sa scénographie particulièrement en phase avec l’essence du sujet que par son contenu. L’abondance des documents mais surtout la diversité de leur support (peinture, poème, livre, objets du quotidien, film…) contribuent à créer un monde en perpétuel mouvement, les bruits des projections se confondent, les images abondent, les couleurs se superposent si bien que l’on ne sait plus où placer son regard. L’objectif de l’installation serait de transmettre un message de génération à génération en invitant le visiteur à toujours se laisser porter par le rythme saccadé et dansant de la machine à écrire.
Écrit par Alexia Lalangue
Du 22 juin au 3 octobre 2016
Centre Pompidou, Paris
Colloque BEAT GENERATION : L’INSERVITUDE VOLONTAIRE
28 – 30 septembre 2016
Petite salle – Centre Pompidou, Paris
Entrée libre
LE PROGRAMME DES TROIS JOURS :
• « Beat Archives : The Art of Life », 28 septembre 2016, à 19h00 : https://www.centrepompidou.fr/id/cKAA8GL/ra55AbB/fr
• « Aux sources de la Beat Generation : la littérature et le cinéma français », 29 septembre 2016, à 11h15 : https://www.centrepompidou.fr/id/cBoopKn/rX55Aj4/fr
• « La réalité est un film », 30 septembre 2016, à 11h15 :
https://www.centrepompidou.fr/id/cMRRXMn/ry55A4d/fr