APPROCHE PSYCHANALYTIQUE DE LA CRÉATION ARTISTIQUE

Et si l’on utilisait le pouvoir des images pour révéler, comprendre et réconcilier les zones conscientes et inconscientes de la psyché humaine ?

Crédits photo : Gaelle Hubert

On peut comparer la vie psychique d’un individu à un grand iceberg dont la partie hors de l’eau constituerait le conscient et la partie immergée, l’inconscient. Sigmund Freud, l’initiateur de la psychanalyse, a consacré sa vie à l’étude de cette partie noyée de l’iceberg. Il a découvert que ce que l’on voyait du bloc de glace depuis l’extérieur était très réduit, comparé à l’immensité de ce qu’il y avait sous l’eau et que l’on ne voyait pas. La partie noyée de l’iceberg, qui constituerait l’ensemble des éléments inconscients de la psyché, serait composée à la fois de pulsions, d’émotions, de perceptions et de croyances. Toutes ces données seraient profondément ancrées en nous et auraient le pouvoir de diriger nos pensées et nos actes au quotidien.

Mais si la découverte de Freud est si intéressante, c’est surtout parce qu’elle permet d’expliquer l’origine des angoisses, névroses et conflits psychiques qui peuvent nous faire souffrir. Lorsque nos désirs sont en inadéquation avec les exigences du monde réel (la morale, le regard des autres) et que nous ne pouvons les satisfaire, nous souffrons. Si nous avons conscience de ce désir et que nous nous le refusons volontairement, nous sommes voués à la frustration. Si, au contraire, le désir est inconscient, il sera refoulé immédiatement et mènera à la névrose.
Or, face à ce problème qui semble sans issue, Freud discerne une solution. Afin de libérer cette pulsion, jugée comme moralement inacceptable, il propose de la structurer pour la laisser s’épanouir par une autre voie. C’est ce que l’on appelle le principe de « sublimation ». Une pulsion « sublimée » sera simplement structurée : elle sera limitée par un cadre qui lui permettra de se libérer sans danger.
C’est ici que l’art-thérapie intervient : lors de la création d’une œuvre, le support et la matière utilisés constituent déjà un cadre sécurisé. D’une part, les libertés qu’offrent la peinture, le modelage ou le collage proposent un cadre sécurisé puisqu’elles sont toujours limitées par les possibilités des matériaux et des outils. Créer est donc une façon de s’exprimer spontanément tout en profitant d’une certaine sécurité.
D’autre part, donner forme à une pulsion permet de la clarifier, de l’identifier et de se l’approprier. Alors qu’une idée ou une émotion qui n’a pas été représentée reste floue dans l’esprit celui qui l’éprouve, cette même idée mise en forme sur un objet extérieur apparaîtra nécessairement avec plus de clarté et de distance. En la projetant dans le monde extérieur, l’individu pourra la contempler avec un autre regard et s’en détacher progressivement. Elle passera d’une forme floue et intériorisée à un forme extériorisée et indépendante.
Ce principe de sublimation s’applique aisément dans le cas où l’individu a plus ou moins conscience de son désir. Mais qu’en est-il des désirs tout à fait inconscients, ceux qui font partie de la zone immergée de l’iceberg ? La bonne nouvelle, c’est que Freud a non seulement étudié cette partie sombre de la psyché, mais aussi la manière dont on peut y accéder. S’il semble impossible de plonger directement dans les profondeurs glacées, il est possible de distinguer ce qu’il s’y cache en éclairant la zone et en en observant les reflets. En fait, l’inconscient ne se révèle pas directement, il apparaît grâce à des intermédiaires, des « formations substitutives ». Ce terme un peu barbare employé par Freud signifie l’ensemble des manifestations concrètes qui sont liées à l’inconscient. Il s’agit principalement des rêves, des symptômes, des lapsus et des actes manqués. Lorsque l’on sait interpréter les images et les symboles contenus dans ces « formations substitutives », on accède à leur sens latent, donc à l’inconscient.

De nombreux art-thérapeutes utilisent ces moyens intermédiaires pour accompagner leurs patients dans la découverte de leur psyché. Ils peuvent par exemple les encourager à représenter leurs rêves puis les aider à en analyser la représentation. Tristan Moir, spécialiste du langage du rêve explique que « l’inconscient utilise un langage qui se manifeste dans le rêve. Ce langage est construit autour des symboles. Les symboles ont fonction de support pour des pensées qui n’ont, par définition, pas de forme. Le rêve apparaît alors comme une émanation de notre inconscient. » Représenter son rêve grâce à la peinture ou au dessin aideront le patient et le thérapeute à en déceler les élément clés et à comprendre les liens qui les unissent.

Billy Shire, Collage

Chaque symbole ayant une signification plus ou moins explicite, il s’agit ensuite de savoir les rapporter à certains aspects de la vie du patient. Par exemple, une série de dessins où la poursuite est représentée à répétition est souvent révélatrice « d’une angoisse profonde, de la peur d’être rattrapé par quelque chose. On peut être poursuivis par ses souvenirs, par son passé, des choses obscures qu’on a voulu enfouir. C’est la peur de ne pas pouvoir assumer celles-ci. » Avec ces éléments et à la lumière des autres symboles qui lui sont associés, le thérapeute sera en mesure d’enquêter ce qui, dans la vie du patient, peut correspondre à l’objet angoissant. La seconde méthode issue de la psychanalyse qui est très employée en art-thérapie est l’« association libre » d’idées. Le patient est amené à produire des phrases ou des images avec spontanéité. Il doit se laisser guider par son intuition et ses ressentis sans chercher à produire une œuvre cohérente. Plutôt que de chercher le sens latent de sa création, il peut se focaliser sur ce que ces associations, souvent surréalistes, provoquent chez lui. L’art-thérapeute l’incitera mettre des mots sur ses sensations et à accentuer certains éléments qui lui semblent intéressants et qui demandent à être développés.
Il existe évidemment d’autres procédés qui permettent de mettre en lumière la partie sombre de l’iceberg, mais ces deux méthodes sont de celles qui sont le plus largement employées. Toutes les méthodes de la sorte reposent sur l’idée qu’il est plus facile de s’exprimer à travers des formes et des couleurs que sous la forme d’un discours, puisque les possibilités sont bien plus nombreuses et qu’elles répondent moins à des règles que le langage verbal. La création artistique permet donc de mettre des images sur nos émotions et nos pensées sans les réduire au vocabulaire de notre langage courant.

L’approche psychanalytique de la création artistique a énormément apporté à l’art-thérapie et de nombreux psychanalystes s’en servent comme point de départ ou comme complément à une analyse complète. Mais Freud n’est pas le seul à s’être intéressé à l’acte de création et de nouvelles théories et méthodes se sont rapidement développées. La prochaine fois, c’est à Carl Jung que nous demanderons son avis sur le sujet !

Sources :
Brun Anne, Historique de la médiation artistique dans la psychothérapie
psychanalytique , Psychologie clinique et projective, 2005/1 (n° 11).
Hamel Johanne, Labrèche Jocelyne, Art-thérapie , Larousse Poche, 2015
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One Response to “APPROCHE PSYCHANALYTIQUE DE LA CRÉATION ARTISTIQUE”
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  1. […] Le cas de la famille Hugo est loin d’être isolé et c’est au cours du siècle où aura vécu l’écrivain, que le regard porté sur la folie va peu à peu considérablement évoluer. Le XIXe siècle et le début du XXe sont en effet marqués par l’attention nouvelle des médecins aliénistes pour les créations de leur malade. Ce qui était alors encore parfois jugée comme une curieuse lubie se développe à peu près au même moment que la psychanalyse et qu’une prise de conscience de l’urgence d’améliorer les conditions de soin et de vie, souvent inhumaines, des personnes internées. Une pratique thérapeutique des arts se développe alors. (Si le sujet vous intéresse, Gaëlle a d’ailleurs consacré une série d’articles intitulée « L’art comme thérapie », dont je vous recommande chaudement la lecture !) […]



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