La Folie en tête – Aux racines de l’Art Brut à la Maison de Victor Hugo

Après un premier volet consacré à la naissance de l’art spirite en 2012 avec Entrée des mediums. Spiritisme et Art de Hugo à Breton , le commissaire Gérard Audinet poursuit, avec Barbara Safarova, son exploration de « territoires situés en périphéries du champ artistique » avec La Folie en tête. Aux racines de l’Art Brut . Près de 200 œuvres ont ainsi été rassemblées à la Maison de Victor Hugo, parmi les plus anciennes et encore très peu vues en France.

Adèle Hugo fille, 1862. Photographie d’Edmond Bacot (1814-1875). Paris, Maison de Victor Hugo ©Edmond Bacot / Maisons de Victor Hugo / Roger-Viollet

L’exposition prend comme point de départ un aspect très intime de la vie de Victor Hugo : son lien douloureux avec la folie. Rarement voire jamais évoquée dans ses œuvres, celle-ci a pourtant frappé plusieurs membres de sa famille, puisque son frère Eugène ainsi que sa dernière fille, Adèle, ont tout deux été internés.

Le cas de la famille Hugo est loin d’être isolé et c’est au cours du siècle où aura vécu l’écrivain, que le regard porté sur la folie va peu à peu considérablement évoluer. Le XIXe siècle et le début du XXe sont en effet marqués par l’attention nouvelle des médecins aliénistes pour les créations de leur malade. Ce qui était alors encore parfois jugée comme une curieuse lubie se développe à peu près au même moment que la psychanalyse et qu’une prise de conscience de l’urgence d’améliorer les conditions de soin et de vie, souvent inhumaines, des personnes internées. Une pratique thérapeutique des arts se développe alors. (Si le sujet vous intéresse, Gaëlle a d’ailleurs consacré une série d’articles intitulée « L’art comme thérapie », dont je vous recommande chaudement la lecture !)

August Klett (1866-1928), «Blatt III.: Die Hahnenrepublik in der Sonne hielt einen kostümfreien Hausball», crayon, aquarelle sur papier à dessin, 1923, ©Prinzhorn Collection, University Hospital, Heidelberg

Peu à peu, les médecins accumulent de véritables collections, certains pour des raisons scientifiques, d’autres par plaisir personnel. L’exposition La Folie en tête est organisée de façon chronologique et présente quatre grandes collections européennes fondamentales, celles de pionniers de cet intérêt, alors considéré comme marginal, pour « l’art des fous » : celle du Docteur Browne, celle du Docteur Auguste Marie conservée à la Collection de l’Art Brut de Lausanne, celle de Walter Morgenthaler, ainsi que la collection Prinzhorn à Heidelberg.

La scénographie est donc organisée en fonction de ces quatre sections qui communiquent entre elles, car les cloisons ne sont jamais fermées. Ce choix d’aération de la muséographie est assez agréable compte-tenu de la densité plastique de certaines œuvres – fascinantes – très chargées en détails et bien sûr du sujet de l’exposition qui n’est pas anodin : la folie demeure à notre époque assez méconnue, voire mystérieuse, et peut être attirante autant qu’impressionnante. Pour autant, le musée a tenu à ne pas céder à une « mise en spectacle des troubles mentaux » et entend ne montrer, respectueusement, que les œuvres des malades afin de leur « rendre hommage en tant qu’artistes, comme à leurs thérapeutes ».

Broderie anonyme, Collection ABCD (art brut connaissance & diffusion) © Collection ABCD

Karl Schneeberge, « Sozialist », carton, papier, journaux, fil de fer, 1922, N° inv. 230 © Psychiatrie-Museum, Berne

La diversité des médiums employés par ces créateurs est frappante : beaucoup de dessin et de peinture, mais aussi de la broderie, du crochet, ou encore de la sculpture effectuée avec des matériaux de récupération… Une grande variété d’objets peut être employée pour satisfaire la pulsion artistique de l’individu, celle-là même qui a passionné Jean Dubuffet, « l’inventeur » de l’art brut au XXe siècle.

Le Voyageur français, sans titre,entre 1902 et 1905, peinture à l’eau sur papier à dessin, © Collection de l’Art Brut, Lausanne/photo Claude Bornand

En quittant l’exposition, il est toutefois difficile de ne pas penser que le lien établi entre ces productions et la famille de Victor Hugo peut paraître un peu léger. Il semble quelque peu servir de prétexte pour établir cette exposition en ce lieu. Les rapports entre la littérature et la folie sont tout juste évoqués avec les travaux de Charles Nodier, et peuvent être explorés sur une borne multimédia, mais le reste de l’exposition est ensuite déconnectée de la première pièce introductive.

Vous l’aurez compris, cette exposition n’en demeure pas moins extrêmement intéressante, d’autant plus qu’elle abrite de véritables trésors méconnus aux côtés de « stars » de l’art brut tels qu’Adolph Wölfli (les compositions divisées en deux univers abstraits et figuratifs de l’énigmatique Voyageur français, révélé par le Docteur Marie, ont été pour moi de merveilleuses découvertes !). D’autre part, le parti pris de lier le thème d’un musée assez touristique avec un sujet beaucoup moins séducteur, a priori, peut être générateur de connexions tout à fait enrichissantes. Le reste de la maison de Victor Hugo est en effet accessible gratuitement, et la visite du lieu de vie d’un homme établi et reconnu comme un véritable génie peut faire apparaître de nouveaux questionnements, à l’aune de sa mise en rapport avec un art qui encore aujourd’hui n’est pas toujours considéré comme tel. Le visiteur est forcé de constater la multiplicité des formes d’art, tantôt virtuoses et cultivées, tantôt littéralement plus « brutes », mais qui répondent toutes à une nécessité de création qui a, à un moment donné, traversé les êtres qui les ont produites.


Maison de Victor Hugo

6 place des Vosges 75004 Paris

Jusqu’au 18 mars 2018

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