Entretien – Hey Listen Blog d'actualités sur l'art. Mon, 22 Jul 2019 13:05:52 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.9.10 /heylisten.fr/wp-content/uploads/2018/09/cropped-logo-et-texte-hey-listen-2.png?fit=32,32 Entretien – Hey Listen 32 32 94317584 Winter Family, L’entretien 2/2 /winter-family-lentretien-2-2 /winter-family-lentretien-2-2#respond Thu, 21 Mar 2019 20:41:18 +0000 /?p=3173 Winter Family, c’est le duo d’artistes composé de Ruth Rosenthal et de Xavier Klaine. [Pour lire la première partie de l’article, c’est ici !] Cette fois, ils nous parlent de légitimité, du statut d’artiste et de souffrance agréable… Après une longue tournée en France avec H2 Hébron (Nanterre-Amandiers, TNB, MC93…), Ruth et Xavier vont se […]

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Winter Family, c’est le duo d’artistes composé de Ruth Rosenthal et de Xavier Klaine. [Pour lire la première partie de l’article, c’est ici !] Cette fois, ils nous parlent de légitimité, du statut d’artiste et de souffrance agréable…


Après une longue tournée en France avec H2 Hébron (Nanterre-Amandiers, TNB, MC93…), Ruth et Xavier vont se consacrer aux concerts et à la création d’un nouvel album. On dit souvent (moi la première) qu’il y a quelque chose de mystique dans leur musique. Déjà parce que l’orgue y est très présent, ensuite parce que Ruth a ce timbre de voix grave et solennel qui rappelle les cantiques. C’est d’ailleurs dans une église dont sa tante avait les clés que Xavier s’est exercé à l’orgue. Aujourd’hui, ils savent comment s’y prendre pour pouvoir jouer dans ces lieux saints, ce qui n’est finalement pas si compliqué, puisqu’ils ne sont pas du tout anticléricaux.

Tous les deux sont athées, mais aiment les lieux chargés d’énergie.

Vous avez plus de chance de les croiser à une soirée techno qu’à la première d’une pièce de théâtre. Ils s’y sentent plus à l’aise et craignent moins le moment fatidique où on leur demandera leur avis. « Les concerts, c’est pas pareil. T’aimes ou t’aimes pas, et personne n’en parle ensuite pendant des heures avec un air d’expert » Parmi ses derniers coups de cœur, Ruth nomme quand même Milo Rau. Et le hip-hop marocain.  Xavier cite Théo Mercier, Nicolas Roggy, Yasmeen Godder, Philou Petit ainsi que Meytal Blanaru, Nico Teen et Guy Marc Hinant.

Vivre de ses créations, on se doute bien, n’est pas chose facile. Surtout avec le développement des réseaux sociaux, qui a changé toute la donne ces dernières années. Xavier raconte que dans les années 90, faire son auto-promotion n’allait pas du tout de soi. « Maintenant, même un micro label aux USA te demandera d’avoir une data fan base de 15 000 membres. Sinon, c’est même pas la peine d’envoyer tes démos. Quand j’étais gamin, avec mes groupes de hardcore Alive The Roupettes ou Blockheads, on collait parfois des affiches ou on filait des flyers avant de jouer, et encore, c’était le maximum de l’humiliation envisagée pour un groupe. C’était ponctuel et drôle. Maintenant, c’est complètement intégré de se sur-vendre sur les réseaux quotidiennement. Les salles te demandent de partager l’event, les labels de faire tourner l’info de sortie d’album, d’un nouveau clip, etc. C’est étrange, on est devenus directeurs de la communication bénévoles de nos projets »

 

Le duo, qui a vécu dans plusieurs pays, remarque que le statut d’artiste n’est pas perçu pareil dans toutes les cultures. « Aux États-Unis, il n’y a pas de subventions publiques donc l’underground musical est très ramassé, intense, vivace, avec un niveau incroyable, question de survie, mais la création théâtrale est quasi impossible.

En Israël, il y a très peu d’argent consacré à la création. Etre artiste est un métier comme un autre, le statut d’artiste n’est pas fantasmé comme en France. Et la très grande majorité des artistes doivent nécessairement travailler à côté, c’est banal et accepté.

Ruth était au pupitre lumières à l’Opéra National de Tel Aviv et bossait dans deux restaurants le jour pour survivre. Et pourtant il y a un grand nombre de projets intéressants dans ce pays. Il faut dire que les sujets sont malheureusement brûlants”

Au vu de leur expérience dans la musique et le théâtre, on pourrait penser que Winter Family ne connaît ni le doute, ni le syndrome de l’imposteur. Pourtant, Xavier ressent parfois encore ce manque de légitimité, notamment lorsqu’il travaille avec des techniciens qui ont beaucoup plus d’expérience et de savoir que lui. Ruth, quant à elle, adopte plutôt l’attitude inverse. Elle ne se sent ni musicienne, ni comédienne, elle n’a pas le bac, elle fait les choses comme elle le sent et ça l’amuse beaucoup. « Peut-être que je suis un imposteur » (rires).

 

Tous les deux sont d’accord pour dire que ce qui importe le plus, c’est de prendre du plaisir.

Pour eux, ce qui compte dans un parcours, c’est davantage l’honnêteté, le travail et les rencontres qu’un diplôme reconnu.

Xavier ajoute :  » La rencontre par hasard avec le chorégraphe Paco Decinà a changé ma vie. J’étais pas très bien, je me suis remis à la musique brutalement pour lui proposer un truc au piano à l’arrache. Et ça lui a plu, il m’a proposé de monter sur scène avec ses danseurs et j’ai bossé avec lui pendant 5 ans. Tout a changé « .

Quand pour terminer, on leur demande quels conseils ils donneraient à un jeune qui veut se lancer dans une voie artistique, Ruth soupire et dit : « Moi je ne me sens pas trop de donner des conseils. L’important, peut importe ce qu’on fait, c’est d’être honnête. Faire ce dont tu as vraiment envie. C’est pas toujours facile, parce que tu veux du public, tu veux être aimée. » Xavier continue : « C’est ambigu de vouloir faire des choses un peu raides et en même temps de vouloir absolument plaire à tout le monde… Ce boulot, c’est une souffrance agréable, c’est parfois intense, mais franchement pas bien méchant comparé à la plupart des autres boulots sur cette planète”

 

Juste ici, retrouvez la chaîne Youtube de Winter Family !

 

Image de couverture © JB Toussaint

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Winter Family, L’entretien 1/2 /winter-family-lentretien-1-2 /winter-family-lentretien-1-2#respond Fri, 15 Mar 2019 23:41:54 +0000 /?p=3148 Il y a quelques temps déjà, je vous ai parlé du duo Winter Family et de leur album South from Here, qui m’a rendue un peu accro. Depuis, ils ont poursuivi leur grande tournée en France et j’ai pu voir deux de leurs spectacles à la MC93. J’ai rarement vu plus brut et radical au […]

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Il y a quelques temps déjà, je vous ai parlé du duo Winter Family et de leur album South from Here, qui m’a rendue un peu accro. Depuis, ils ont poursuivi leur grande tournée en France et j’ai pu voir deux de leurs spectacles à la MC93. J’ai rarement vu plus brut et radical au théâtre, et moi quand c’est honnête, ça me touche. Ruth Rosenthal et Xavier Klaine partagent avec nous un peu de leur univers et de leur réalité.


Xavier Klaine a grandi en Lorraine. Formé à la musique classique au conservatoire et à la géopolitique sur les bancs de la Sorbonne, il s’est épris pour les drones de l’orgue et le métal. Ruth, quant à elle, est née à Haïfa, en Israël. Elle a étudié à la School of Visual Theatre, une école d’art pluridisciplinaire à Jérusalem où elle a pratiqué le théâtre, l’écriture et la marionnette.

C’est lors d’une soirée à Jaffa que Ruth Rosenthal et Xavier Klaine se sont trouvés. Ruth a pris un micro, a improvisé quelques paroles, presque en blaguant. Et surprise, ça sonnait bien. A la fin de la soirée, elle a proposé à Xavier, qui était en Israël pour rendre visite à des amis, de faire la musique de son prochain spectacle. Le spectacle n’a jamais eu lieu mais le duo, baptisé Winter Family, ne s’est plus quitté.

A cette époque, Ruth travaillait à l’opéra de Tel Aviv à la lumière et dans restaurants, tandis que Xavier jonglait entre sa passion pour la musique et un job bureaucratique qui ne lui plaisait pas.

Depuis, le duo a voyagé entre Israël, les États-Unis et la France, a produit un livre, trois albums magnifiques et de nombreux spectacles, sans compter leurs nombreuses collaborations avec d’autres artistes.

Quand on leur demande s’ils font du théâtre documentaire, ils acquiescent sans hésiter.

Dans leurs spectacles, pas de place pour la fiction ou l’illusion du quatrième mur.

Tous les ingrédients sont documentaires, issus du réel et fortement politiques. Leurs deux dernières créations, Jérusalem Plomb Durci et H2 Hébron, abordent les relations conflictuelles entre Israël et la Palestine.

A l’origine du premier, il y a un enregistrement radiophonique créé pour France culture.

A écouter juste ici !

« Quand il est passé à la radio, on l’a écouté dans un petit transistor. A l époque on habitait à la campagne. On s’est dit que c’était bien, mais que ça manquait de ce dont on voulait parler : la dictature. On arrivait pas à transmettre ça uniquement avec le son. Alors on a décidé de faire un spectacle. »

La Winter Family a joué Jérusalem Plomb Durci en Israël, dans un petit théâtre plutôt de gauche. Beaucoup ont aimé, beaucoup aussi ont choisi de ne pas venir. Ruth explique : « Moi j’ai plutôt un entourage de gauche. Mais c’est quand même difficile d’en parler, parce que les gens en ont marre, parce que ça ne sert à rien d’en parler et que rien ne change. Soit t’es activiste, et j’ai des amis qui le sont, soit tu prends de la distance. Ça se comprend, mais c’est critiquable. »

En France, le spectacle a provoqué différentes réactions. Lorsqu’ils ont joué au Festival d’Avignon en 2012, le duo a reçu des menaces, aussi bien pro-israéliennes que pro-palestiniennes, pour arrêter le festival.

Montrer ce que les gens ne connaissent pas, c’est prendre des risques.

Côté public, ils se sont vus reprocher d’employer le terme de « dictature » pour parler d’Israël, ou à l’inverse, de ne pas assez parler de la Palestine.

Pour H2 Hébron, Ruth et Xavier se sont rendus sur place, à Hébron, cette ville palestinienne si représentative de l’occupation. Ils ont recueilli des témoignages de soldats, d’habitants et de colons, qu’ils ont mis bout à bout pour en faire le texte d’une visite guidée. Visite qui se déroule autour d’une maquette de la ville, réalisée en impression 3D avec une incroyable précision. Durant le spectacle, le public n’est pas ménagé : c’est un flot d’informations qui déferle au-dessus de bruits parasites, dans une ambiance oppressante et dérangeante, puisqu’on se retrouve à manger une glace sous des lampes chauffantes, surpris par des bruits d’explosion.

C’est ça le théâtre documentaire, c’est du réel. Parfois, ça cogne.

Ce n’est pas fini ! On revient très vite avec la suite de l’article !
N’hésitez pas à nous suivre sur Facebook pour être informé de sa publication 🙂

 

Image de couverture © JB Toussaint

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Céline et Vincent : le documentaire par la photographie /celine-et-vincent-le-documentaire-par-la-photographie /celine-et-vincent-le-documentaire-par-la-photographie#respond Tue, 19 Feb 2019 20:32:28 +0000 /?p=3121 Céline et Vincent ont choisi de faire de la photo le centre de leur vie. A bord de leur camion et accompagnés de leur lapin, ils parcourent les routes françaises et européennes et questionnent le monde dans lequel ils vivent. Ils se sont notamment engagés dans un projet à long terme sur la question de […]

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Céline et Vincent ont choisi de faire de la photo le centre de leur vie. A bord de leur camion et accompagnés de leur lapin, ils parcourent les routes françaises et européennes et questionnent le monde dans lequel ils vivent. Ils se sont notamment engagés dans un projet à long terme sur la question de l’immigration, loin des clichés médiatiques : Europe 2050. 

 


 

Hey Listen : Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec la photographie ?

Céline : Je me rappelle des portes ouvertes de l’école dans laquelle j’ai étudié, l’Institut Saint-Luc. J’avais seize ans. Pour le concours d’entrée, j’ai demandé à mon oncle de me prêter son argentique. Toutes les photos de la pellicule étaient floues. Je me souviens aussi du premier appareil photo que j’ai acheté. C’était sur une braderie, un boîtier allongé violet, avec deux modes : 20-36 ou format panoramique.

Vincent : Moi, je me rappelle de ma première rencontre avec un appareil photo. Chez mes parents, il y avait le boîtier de mon père dans une vitrine. J’avais une attirance un peu spécifique pour cet objet, je le trouvais beau. Et je me rappelle des pellicules que ma mère faisait développer chez Maxicolor. On recevait les enveloppes par La Poste.

Portrait d’une famille vivant dans une courée, avril 2008. Lille, France – 20 avril 2008.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce médium ?

V : J’aime bien la partie un peu psychorigide, technique, contrôlée, avec des réglages. Le mélange entre quelque chose de créatif et la contrainte technique. J’aime aussi que l’image en photo soit synthétique, qu’elle suffise, pas comme au cinéma.

C : Pour moi, ça été de garder le souvenir d’une image. S’attarder sur quelque chose qui ne nous marquerait pas forcément sans la photographie. Et le côté « balade », se laisser attirer par ce qui nous entoure. J’aimais bien dire que c’est comme une extension de la main.

   « J’ai une certaine nostalgie de l’argentique, parce qu’il y a l’odeur de chimie, une sorte de rituel, de protocole »

Depuis vos débuts, à quel point avez-vous changer de regard ?

C : Ce qui a changé pour moi, ça a été de ne plus faire de photo tous les jours. Au début, je ne comprenais pas comment on pouvait en avoir assez. Il y avait quelque chose de spontané, un regard novice, expérimental. Après, je suis passée à quelque chose de plus construit.

V : Je pense pas que pour moi le souci technique ait changé, même si je suis plus exigeant. En revanche, l’idée de construction, de série, de narration, a évolué. Je suis passé du studio à l’extérieur.

Plan rapproche de la barriere construite par la Macedoine à la frontiere grecque pour empecher les migrants de prendre la route des Balkans, janvier 2018. Idomeni, Grece – 6 janvier 2018.

Préférez-vous l’argentique ou le numérique ? Pratiquez-vous les deux ?

C : C’est différent. On pratique les deux. Moins l’argentique par souci économique et technique. Mais j’ai une certaine nostalgie de l’argentique, parce qu’il y a l’odeur de chimie, une sorte de rituel, de protocole.

 

Quelle place votre pratique prend-elle dans votre vie ?

C : Beaucoup de place. Même si on ne fait pas assez de photo.

V : Oui, ça prend énormément de temps et de place, puisqu’on a organisé toute notre vie autour de ça. En revanche, ce n’est pas la partie prise de vue qui nous occupe le plus, malheureusement. Je n’ai pas l’impression de faire autre chose. Des schémas électriques, des plans de camion, des sauvegardes… Pour pouvoir en vivre, on doit faire beaucoup d’autres choses par ailleurs : organiser notre vie en fonction de ça, chercher des sources de financement, faire des sites web, s’occuper des portfolios. Toute la partie administrative prend beaucoup de temps.

C : On devrait faire plus de photos.

V : Et des choses un peu plus légères.

J’ai lu dans votre bio une phrase de Céline à l’intention de Vincent : « tu fais des images, pas des photos ». Céline, qu’entendais-tu par là ?

C : A l’époque où l’on s’est rencontrés, Vincent faisait du studio et moi de la photographie en extérieur. Dans le studio, il y a une part de mise en scène, de scénarisation. Moi j’étais plus portée sur l’image instantanée, documentaire. Je considérais le travail de Vincent plus comme des images.

V : Céline a une vision de la photographie qui est plus proche de ce que la photo a apporté quand elle est apparue : garder sur une pellicule un instant T qu’on ne pouvait pas saisir autrement, pas par la peinture par exemple.

C : La photographie de Vincent s’approche plus de la peinture.

 

Le fait de travailler en duo a-t-il changé votre rapport à la photographie ?

V : Comme je me suis pris dans la figure que je ne faisais pas des images, je me suis dit que j’allais essayer de faire des photos ! (rires)

C : Et moi je me suis pris dans la figure qu’il fallait assumer les photos qu’on faites !  Mon rapport au sujet a beaucoup changé. On a le souci de défendre ce qu’on fait. Avant, ça ne m’aurait pas dérangée de faire du bénévolat pour approcher les gens, pour pouvoir faire des photos. Aujourd’hui, ça me dérangerait.

V : Comme c’est un travail écrit ensemble, ça suppose de composer avec la façon de faire de l’autre. Je dirais que d’une part, je me suis confronté à des sujets auxquels je ne me serais pas confronté seul. Et d’autre part, l’idée de construction, de travaux sur le long terme a changé l’horizon temporel que j’envisageais pour la production d’un travail, sa rigueur d’écriture.

 

Quel lien faites-vous entre la pratique de la photographie et celle du documentaire ? Pouvez-vous imaginer l’une sans l’autre ? L’une prime-t-elle sur l’autre ?

V : Pour moi, la pratique documentaire est une pratique de la photographie parmi d’autres. La distinction que je ferais, c’est ce qui concerne le temps. La pratique photographique peut être relativement courte, alors que la caractéristique de la pratique documentaire, c’est le temps et la narration sur le long terme. Ma pratique de la photo n’est pas exclusivement documentaire, mais en ce moment c’est le documentaire qui prime.

Façade d’un centre de demandeurs d’asile, couvert de neige, poussette de bebe garee devant la porte dans la neige, centre de demandeurs d’asile de la Croix rouge, novembre 2017. Pukalaidun, Finlande – 22 novembre 2017.

Pour vous, la rencontre humaine découle-t-elle de la pratique photographique ?

C : Non, par contre la photographie m’a permis de faire des rencontres que je n’aurais pas faites. La photographie te permet d’aller là où tu ne serais pas allé sans elle.

V : C’est vrai qu’on s’est retrouvés dans des situations qui ne se seraient pas posées. Je ne me suis jamais fait autant contrôler par la police qu’en faisant de la photographie, en Hongrie par exemple… C’est vrai que depuis que je fais des images, j’ai rencontré plus de personnes. Notamment Céline.

 

La photographie est-elle avant tout un prétexte à la rencontre ?

C : Non, pas pour moi.

V : Non plus, si j’ai envie de rencontrer quelqu’un, je n’ai pas besoin de la photographie pour ça.

   « La photographie te permet d’aller là où tu ne serais pas allé sans elle. »

Diriez-vous que votre intérêt pour le documentaire est plus motivé par la rencontres des individualités, des petites mythologies, ou par la compréhension d’une histoire collective, d’un contexte politique ?

V : Les deux, ça dépend. Et puis très souvent, le contexte politique détermine aussi les petites histoires individuelles pour lesquelles on rencontre les gens.

Une poupee posee sur un canape, dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile, novembre 2015. Linz, Autriche – 25 novembre 2015.

Vous considérez-vous comme des artistes engagés ?

C : Non, nous ne sommes pas des artistes. On ne devrait pas se présenter comme artiste. Photographes engagés, peut-être, mais pas artistes.

V : On a des convictions, des trucs à défendre. Mais ce qui m’énerve fondamentalement, c’est que très souvent la notion d’art, d’artistes, permet d’introduire un clivage, souvent méprisant. Dire « ça c’est de l’art et ça, ça n’en est pas », c’est une distinction qui est établie par les artistes pour valoriser leurs productions. Ça me gonfle cette idée d’art. Donc engagés oui, artistes certainement pas.

 

En 2015, vous vous êtes lancés dans un projet conséquent : Europe 2050. Comment est née cette initiative ?

C : Elle est née d’une envie de partir, d’abord. On s’est dit que ce serait chouette de voyager et de faire de la photo. On a commencé à Calais, où on a fait le premier portrait. C’est ce qui nous a décidés à avoir cette démarche de rencontrer les gens de façon transparente, franche. Et ce qui nous avait dérangés, c’est qu’on avait accosté cette personne parce qu’on savait que c’était un migrant. C’est dommage, parce qu’à chaque fois qu’on aborde ces gens, c’est parce que ce sont des migrants. Ça nous a questionnés. Quand on est revenus, on avait quelques photos, un propos et une envie de développer les choses. Et on a fait un second voyage.

Centre ville de Sofia, entre les boulevards Maria Luisa à l’Ouest et Vasili Levski à l’Est. Les croix gammées et les slogans racistes sont très nombreux, peu ont fait l’objet de recouvrement ou de tentative d’effacement. En revanche une part non négligeable a été recouverte par des slogans « anti-fa » de contestation, janvier 2016. Sofia, Bulgarie – 10 janvier 2016.

Jusqu’ici, qu’avez-vous appris de ces voyages, ces rencontres, sur le plan politique et humain mais aussi artistique ?

V : Documenter le sujet de l’immigration nous a permis de mieux le percevoir, d’en comprendre le traitement médiatique et comment nous, on voulait le traiter. L’immigration en Europe, c’est quand même la lose. C’est un sujet qui est particulièrement mal abordé, mal traité, avec une gestion collective déplorable. On laisse des gens dans une certaine misère. La gestion de la crise migratoire par l’Union européenne, par les différents pays européens, c’est un bazar sans nom.

C : Disons qu’il est censé y avoir une certaine cohérence de traitement des cas, mais on se rend compte que, pays par pays, chacun fait avec ses moyens et ses possibilités.

  « Engagés, oui. Artistes, certainement pas. »

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

C : Elles ont été à la fois relationnelles, parce que ce n’est pas facile de vivre à deux 24h/24, mais aussi matérielles. Les principales difficultés étaient liées à notre mode de vie et de transport : trouver des toilettes, se brosser les dents, ça n’a pas toujours été évident.

V : C’est aussi parce qu’on avait pas un gros camion avec tout le confort moderne. Quand on vit dans 4m³ avec un lapin, on a vite fait le tour. Surtout quand il pleut, qu’il y a de la neige, qu’il fait froid, que c’est humide…

C : Il y a aussi les difficultés de la langue. Même si Vincent se débrouille assez bien en anglais, moi un peu moins. On est quand même limité dans son vocabulaire. C’est dommage. Il y a des phrases que je n’ai pas comprises, des sentiments que je percevais un peu moins.

: Et puis quand même, il y a la difficulté du sujet. Voir les gens pleurer, voir les gens tristes, voir le traitement de leurs dossiers, c’est pas drôle, c’est pesant cette misère permanente. Il y a eu une accumulation de souffrances rencontrées qui a été pesante à un moment. Et quand tu vois la stupidité qui caractérise la gestion de cette « crise » migratoire, en dépit de tout bon sens et de toute humanité, c’est aberrant.

Temoignages ecrits, plusieurs demandeurs d’asile ont note leur age et leur ville, village d’origine, ainsi que l’alaphabet et les chiffres dans leur langue maternelle. Salzbourg, Autriche – 20 november 2015.

Ce projet change-t-il votre façon de voir le monde au quotidien ?

V : Non, moi je l’ai toujours trouvé aussi stupide et médiocre. Ça a confirmé un peu ce que je pensais de l’être humain, avec cette logique animale qui fait qu’il est dominé par ses préjugés. Réfléchir ça lui fait mal au cerveau, alors c’est chacun pour soi.

C : Moi, ce qui a changé, c’est que je me suis rendue compte qu’on pouvait se laver avec 1,5L d’eau. Quand on rentre, on se dit qu’on gaspillera un peu moins, qu’on consommera moins. Finalement, on retombe très vite dans les habitudes et la facilité que la société nous donne.

 

Comment êtes-vous accompagnés dans votre démarche ?

C : On est entrés sur une plate-forme de diffusion, Hans Lucas, qui nous accompagne.

V : Ils mettent en contact des productions photographiques avec des diffuseurs, notamment la presse. On est aussi aidés par des amis proches pour les relectures textuelles (François Rougier) et photographiques (Marc Dubord et Bernard Minier).

C : Et ma mère nous suit aussi dans notre travail. C’est la première à s’y intéresser.

 

Y a-t-il d’autres envies photographiques que vous espérez concrétiser ?

V : Ces travaux-là, j’aimerais qu’on puisse les développer, les pérenniser. Et puis j’aimerais avoir le luxe d’avoir un endroit où faire des natures mortes de temps en temps, ou des portraits.

C : Moi j’aimerais bien qu’on puisse développer un peu plus de sujets à court terme, comme celui de la vie sur la route et des chômeurs.

Photo issue de la série Une vie sur la route | sujet en cours |

Espérez-vous quelque chose en particulier du projet Europe 2050 ?

V : J’aimerais bien qu’on arrive un peu à diffuser nos convictions, nos points de vue. Parce que quand on entend que les demandeurs d’asile roulent en belle bagnole, qu’ils portent des fringues de marque et qu’ils gagnent 1500€ par mois, ça m’énerve. J’aimerais bien qu’on essaie un peu de réhabiliter l’esprit critique et qu’on laisse tomber ces photos de presse trop émotionnelles qui ne renseignent rien. Pour dépasser les préjugés, il faut se battre, il y a du boulot. On y arrivera pas, mais on essaie.

C : On est entourés d’images chocs, on nous parle d’émotion tout le temps, c’est ça qui prime. J’étais aussi à un moment à cette recherche d’images qui marquent les esprits, mais en fait ce ne sont pas celles qui feront changer les choses et qui feront réfléchir.

V : On voit toutes ces photos de gamins morts sur les plages, ça n’a rien changé à la vision que les Européens ont des migrants.

C : J’espère qu’on perde cette envie d’aller chercher l’image qu’on attend.

 


Toutes les photos sont créditées © Brugère Isaert | Hans Lucas


Le site web de Céline et Vincent : https://soeurlaroute.com

Le blog dédié à Europe 2050 : https://www.europe2050.com/a-propos

La plateforme Hans Lucas : http://www.hanslucas.com/isaertbrugere/photo

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Dans l’atelier de Sébastien Thomazo /dans-latelier-de-sebastien-thomazo /dans-latelier-de-sebastien-thomazo#respond Fri, 05 Oct 2018 17:00:42 +0000 /?p=2991 Sébastien Thomazo, artiste peintre et illustrateur, a accepté d’accueillir Gaëlle chez lui, en Bretagne, pour lui faire visiter son étonnant atelier. La brume se lève doucement sur la campagne bretonne, à quelques kilomètres de Plancoët. C’est ici, dans une grande maison baignée de lumière, que vivent Sébastien Thomazo et sa petite famille. C’est dans cette […]

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Sébastien Thomazo, artiste peintre et illustrateur, a accepté d’accueillir Gaëlle chez lui, en Bretagne, pour lui faire visiter son étonnant atelier.

La brume se lève doucement sur la campagne bretonne, à quelques kilomètres de Plancoët. C’est ici, dans une grande maison baignée de lumière, que vivent Sébastien Thomazo et sa petite famille. C’est dans cette même maison que Sébastien a installé son – ou plutôt ses – ateliers.

Chaque espace de la maison est consacré à une pratique artistique. Au dernier étage, là où il fait le plus frais, il se réfugie pour peindre. En dessous, dans la chambre, il dessine sur une table où sont disposés ses flacons d’encre et une incroyable quantité de plumes. Et c’est dans le salon qu’il réalise ses gyotako, une technique chinoise qui consiste à utiliser des poissons comme des tampons pour réaliser des empreintes. Également collectionneur d’os, de statuettes, de petits dessins et de diverses bricoles, il a quasiment fait de sa maison un cabinet de curiosités.

D’abord relieur, Sébastien Thomazo a développé un fort intérêt pour l’esthétique du livre et le travail d’artisan, mais aussi pour la richesse de la littérature et de la poésie. Il s’inspire parfois de bribes de romans ou de quelques vers d’un recueil pour créer ses peintures et ses dessins.

Après avoir longtemps travaillé en série, il réalise, depuis peu, des œuvres uniques. Ce sont majoritairement des portraits, souvent de face, dans lesquels on trouve à la fois quelque chose de sombre et d’enfantin. Sa fascination pour le corps humain et la morphologie transparaissent dans ses personnages : des tatoués, des obèses, des maigres et des têtes de débiles incroyablement expressives. Pour travailler, Sébastien aime être dans le silence. Environ toutes les vingt minutes, il sort de l’atelier puis revient pour porter un regard neuf sur son œuvre en cours.

L’encre et les plumes avec lesquelles Sébastien travaille sont rebelles : elles le surprennent chaque fois et s’échappent en minuscules éclaboussures auxquelles il ne s’attendait pas. Son trait, lorsqu’il gratte et griffonne,est extrêmement énergique, au point que les plumes se brisent parfois. Il a appris à maîtriser toutes les possibilités de l’encre et des outils, de la plume classique utilisée sous tous ses angles au simple bout de bois.

Sébastien travaille aussi avec des objets récupérés, des éléments organiques… et des ossements. Son assemblage le plus impressionnant est un squelette entièrement constitué de petits os issus de viandes qu’il a consommées avec sa famille pendant plusieurs mois. Il raconte que ce projet a été éprouvant, à cause de l’odeur et de la manipulation inhabituelle de restes d’animaux.

En plus de ces pratiques singulières, il réalise aussi des illustrations, pour des pochettes d’album ou des affiches de spectacles. Il est alors confronté à la question du compromis, puisqu’il s’agit d’associer deux univers : d’un côté son propre style et de l’autre celui du groupe ou du théâtre qui passe la commande. Mais Sébastien ne cède pas aux concessions et ne collabore qu’avec des gens qui adhèrent à son univers.

Être artiste est bien plus qu’un métier, c’est un mode de vie. Ce qui guide Sébastien, c’est sa capacité à s’émerveiller devant les choses simples et sa passion pour la pratique. Il dit que le métier d’artiste demande à la fois du talent et du travail et qu’il est important de ne pas « tomber dans le charme de la technique ». Il faut savoir s’en libérer au profit de la singularité.


LE SITE DE L’ARTISTE


Crédits photo : Gaëlle Hubert

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Dans l’atelier d’Aurélia Deschamps /aurelia-deschamps /aurelia-deschamps#respond Fri, 17 Aug 2018 17:50:53 +0000 /?p=2912 Aurélia Deschamps est une illustratrice bruxelloise. En parallèle de sa collaboration auprès de journaux majoritairement Belges – Agir par la Culture, Kairos, Editions Vite – Aurélia Deschamps mène de nombreux projets d’illustration dans l’édition jeunesse et dirige des ateliers de création dans diverses structures culturelles à Bruxelles. Son travail explore, entre autres, le dessin, le collage, […]

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Aurélia Deschamps est une illustratrice bruxelloise. En parallèle de sa collaboration auprès de journaux majoritairement Belges – Agir par la Culture, Kairos, Editions Vite – Aurélia Deschamps mène de nombreux projets d’illustration dans l’édition jeunesse et dirige des ateliers de création dans diverses structures culturelles à Bruxelles. Son travail explore, entre autres, le dessin, le collage, ainsi que différents procédés d’impressions qu’elle se plait à expérimenter.


Hey Listen : Bonjour Aurélia ! Pourrais-tu définir ton activité ?

Aurélia Deschamps : Je suis à la base illustratrice mais je fais aussi d’autres activités en parallèle. En ce moment j’anime pas mal d’ateliers pour enfants et adultes dans différentes institutions culturelles, et je travaille aussi à l’organisation d’expo collectives. Je dirais donc que je suis d’abord illustratrice, même si je fais d’autres choses à côté.

HL : Concernant la céramique, tu en fais depuis le début en parallèle de l’illustration ou bien est-ce que c’est venu après ?

A.D : Ah non, c’est tout nouveau, ça fait seulement un an que je fais de la céramique. Ça faisait un moment que ça m’attirait, et puis, comme ça fait longtemps que je suis sortie des études, il y a un moment où tu as besoin de te nourrir de nouvelles choses… Et je me suis donc inscris à des cours du soir. Au début, c’était pour lier l’illustration à la céramique, pour voir comment je pouvais peindre sur les objets que je créais… Mais je ne savais pas du tout si ça me plairait de faire des choses en volume, et finalement c’était le cas. Le fait de réaliser un objet par la terre, a été une vraie révélation pour moi. J’ai découvert que j’avais un réel plaisir à explorer les possibilités de la terre et que je ne devais pas associer à tout prix des illustrations à mes pièces, dans un premier temps en tout cas. C’est une technique aux possibilités infinies, et il y a tellement de choses à faire que je voudrais continuer à explorer ça.

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HL : Comment tu envisages de faire évoluer cette pratique alors ? Tu souhaiterais l’approfondir ?

A.D : J’ai envie de voir jusqu’où je peux aller avec cette pratique, mais oui je me verrais bien avoir un atelier et faire de la céramique en parallèle de l’illustration. Ça ne sera pas des productions en grande série en tous cas, mais plutôt des objets ou sculptures qui seraient en lien avec ma pratique en illustration.

HL : Quels sont tes supports de prédilection ? Est-ce que tu travailles principalement sur papier ou bien certaines créations peuvent-elles naître et aboutir uniquement depuis la tablette graphique (si tu en utilises) ?

A.D : Il y a toujours un support papier, c’est obligatoire pour moi. D’autant plus que je n’utilise pas du tout la tablette graphique, je ne sais même pas comment ça marche ! Je vais peut-être m’y mettre bientôt ceci dit… Cela m’arrive de passer par Photoshop pour recomposer certains de mes éléments dessinés à la main, c’est parfois plus rapide quand tu as une commande et ça peut te permettre d’essayer plus de choses. Il y a comme une pression en moins.

HL : Et comment procèdes-tu ?

A.D : Je scanne mes dessins et je les assemble sur Photoshop, exactement comme un collage, donc le processus est identique finalement. J’essaie quand même d’avoir un maximum d’originaux, donc ce n’est pas non plus un passage systématique, parfois tout se fait sur papier du début à la fin.

HL : Quelle part occupe le dessin d’observation dans ton processus de création ? Est-ce que ça constitue une base inévitable de laquelle tu cherches ensuite à t’éloigner ou bien est-ce qu’au contraire, tu t’y réfères tout au long de la création ?

A.D : C’est marrant que tu en parles parce que j’ai fait un mémoire là-dessus ! J’ai fait beaucoup de dessin d’observation et de carnet de croquis en école, et maintenant j’en fais beaucoup moins. Mais je m’inspire néanmoins toujours beaucoup du réel, parfois par le biais d’un livre, de photographies, d’images existantes. Je transforme ensuite ce réel en le reproduisant avec ma propre vision.

HL : Un de tes anciens projets, L’oiseau d’Ourdi, est une interprétation d’un conte des frères Grimm. Qu’est-ce qu’implique une telle démarche ? Qu’est-ce qui est différent dans ta démarche lorsque tu travailles à partir d’une matière première très présente comme celle-ci, plutôt que de dessin libre ?

A.D : Fondamentalement, ça ne change rien. L’illustration, traditionnellement, se réfère toujours à un texte de toutes façons, comme c’est le cas dans L’oiseau d’Ourdi. D’autant plus qu’un conte est toujours très imagé, ce qui constitue déjà un certain univers. De manière générale, je pars très souvent d’un thème pour créer mes illustrations, mais avec ce projet, la matière première était effectivement déjà très nourrissante.

HL : A propos de conte, qu’est-ce que tu penses de l’a priori très répandu qui consiste à associer systématiquement illustration et jeune public ? Est-ce que toi tu t’adresses à un public en particulier ?

A.D : Pas du tout, je m’adresse à tout le monde. Je trouve que ce qu’il ne faut justement pas faire c’est de mettre les choses dans des cases. Souvent on relie systématiquement illustration et bande dessinée aux enfants, et c’est dommage. Parmi les raccourcis assez clichés, on me demande souvent aussi si je fais des caricatures, typiquement dans les discussions de covoiturages… Pour moi l’illustration c’est de l’art, c’est du dessin, c’est du collage, c’est beaucoup de choses ! On voit d’ailleurs qu’une évolution se fait petit à petit, vers une ouverture plus large encore : il y a beaucoup moins de barrières aujourd’hui entre art et l’illustration, et plus d’expositions de dessin contemporain qu’avant … Et en parlant de sortir du cadre, la BD contemporaine (ou alternative) sort vraiment des cases traditionnelles, au sens propre. Certains dessins se font sur des pages entières, d’autres agencent le texte complètement à leur guise, sans organiser la narration dans des cases, etc. Donc on voit que des pas se franchissent réellement en illustration. Dans ma pratique personnelle par exemple, je fais autant du dessin d’observation que des illustrations liées à un texte littéraire ou d’un thème qui me tient à cœur, des images pour la presse, des affiches pour tel évènement, ou encore des projets de livres pour la jeunesse. C’est-à-dire que ça va vraiment dans tous les sens.

HL : Concernant justement les dessins de presse que tu as produits, je pense notamment à cette illustration de buste de personnalités politiques pour le journal Kairos, est-ce que tu dois respecter certaines conditions dans ton traitement du sujet ou bien est-ce que tu as carte blanche ?

A.D : Je suis complètement libre dans mes collaborations avec Kairos, oui, d’autant plus qu’il s’agit d’un travail bénévole. Et de manière générale, quand on fait appel à toi ou qu’on accepte de te publier, c’est pour te laisser carte blanche. En créant des illustrations dans ce contexte-là, on donne notre propre interprétation de l’article, donc c’est un travail très délicat mais en même temps vraiment intéressant ! C’est super de pouvoir réagir à l’actualité comme ça, de manière très personnelle.

HL : Et comment est-ce que tu considères le rôle que tu as quand tu crées des illustrations sur des sujets d’actualités assez brûlants ? Parce qu’il y a le texte, qui bien sûr est capital, mais l’illustration doit cohabiter avec et détient un peu le pouvoir de donner une autre lecture, en filigrane…

A.D : Exactement, et ça c’est justement, pour moi, la définition de l’illustration. C’est-à-dire que le dessin, ou l’image, va donner – pas forcément une autre lecture – mais dire autre chose, en venant compléter le texte. Parce que si on illustre le texte en dessinant simplement ce dont il parle exactement, ça n’a aucun intérêt. Le dessin doit emmener ailleurs. L’illustration ajoute un peu de poésie à un texte d’actualité.

HL : Et les textes dont tu fais l’illustration, comment est-ce que tu les abordes ? Est-ce que tu te plonges complètement dedans ?

A.D : Oui. En général avec ce genre d’articles, qui ne sont pas toujours simples et qui sont assez lourds, le mieux c’est de les lire, puis de se laisser le temps de les digérer avant de revenir dessus. Il y a parfois une phrase très imagée qui surgit, et je me dis qu’il faut peut-être s’en tenir à ça, car on ne pourra illustrer toutes les idées de l’article quoi qu’il arrive. Mais l’illustration pourra donner le ton, l’ambiance de l’article.

HL : Plus récemment, on a pu voir tes illustrations sur le thème de l’interdiction à l’avortement en Irlande. Selon toi, en quoi le dessin apporte quelque chose en plus à un tel sujet ?

A.D : J’ai fait cette illustration pour soutenir la campagne « Repeal the 8TH » en faveur de l’abrogation du 8ème amendement de la constitution en Irlande interdisant l’avortement. Elle a été conçue sous la forme d’un GIF, où on voit les femmes se déplacer sur une sorte d’escalator et tourner en rond sur l’image. Il s’agissait surtout d’un engagement personnel fort pour moi. Je pense que l’image parle plus directement et peut donner une autre lecture. C’est différent d’un témoignage ou une photo. Sur cette image par exemple, j’ai voulu montrer que ce problème concernait largement tous types de personnes, en montrant des femmes de différents âges et différentes situations notamment.

HL : Quand tu choisis d’incorporer du texte dans tes dessins, à quelles difficultés peux-tu faire face ? Est-ce que la cohabitation entre ces deux éléments est risquée ?

A.D : Ce sont des questions qui m’intéressent beaucoup, effectivement ! En fait, de la même manière que pour les graphistes, quand j’intègre du texte à une illustration, le texte devient alors un élément graphique à part entière. Je le traite donc comme je traite le dessin. Et j’aime bien mettre des mots dans mes illustrations, je trouve que ça ajoute une certaine poésie.

HL : Tu le fais justement dans une série de dessins sur le thème des personnages mythologiques (Ovide). Est-ce que dans ce cas-là le dessin est né du texte ?

A.D : Oui, c’est ça. Je trouvais le texte tellement magnifique que j’avais envie de travailler dessus, et notamment d’effectuer ce travail graphique dont on vient de parler. Et c’est un questionnement qui est toujours complexe. Là, le texte était écrit à la main, et ce n’est pas toujours facile de trouver comment le traiter pour qu’il rende bien avec le dessin.

HL : Tu participes régulièrement à des expositions – au Musée de la bande dessinée à Bruxelles par exemple. Est-ce que tu considères qu’il y a suffisamment d’expositions qui mettent l’illustration à l’honneur ?

A.D : Il faudrait vraiment qu’on donne plus de moyen aux expositions d’illustrations. Il y en a heureusement de plus en plus, mais ce qui est dommage c’est qu’elles n’ont presque jamais lieu dans les musées, mais plutôt dans les petites galeries, les associations culturelles, ce genre de choses.

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HL : Est-ce qu’il serait nécessaire de concevoir des dispositifs d’expositions adaptés à l’illustration ?

A.D : Je pense au contraire que l’illustration mérite d’être exposée comme toute œuvre d’art. Ce sont des images à part entière, et il n’y a donc pas de raisons pour qu’elles ne soient pas aussi encadrées, par exemple.

HL : Quels sont tes projets actuels ?

A.D : Je suis en ce moment en train de développer plusieurs ateliers pour enfants et adultes dans des centres culturels avec mon association LES ATELIERS DU CAILLOU. Concernant ma pratique personnelle, plusieurs projets d’illustration jeunesse sont en cours, et j’aimerais les publier par la suite. A côté de ça, je suis en train d’expérimenter la risographie avec une amie imprimeuse. C’est un procédé que je n’avais jamais employé avant, et une super découverte ! Nous sommes en train de monter un projet de calendrier pour l’année 2019 avec 11 autres illustrateurs bruxellois, un projet local donc !

Je vais aussi créer une exposition collective l’année prochaine à Bruxelles, où je serai à la fois curatrice et artiste. Là, je sortirai un peu de mon domaine puisque le projet se penche sur la photographie, son détournement éventuel et son articulation avec le dessin. Ce dernier projet est très récent et il faut encore en préciser les contours… à suivre !


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MIKA YAMADA, L’APPEL DE SOIE /mika-yamada-lappel-de-soie /mika-yamada-lappel-de-soie#respond Tue, 20 Feb 2018 11:11:37 +0000 /?p=2848 Une invitation au voyage… Mika Yamada est une artiste en broderie à la main japonaise. Originaire de la ville de Sagamihara, à quelques kilomètres au sud-ouest de Tokyo, la jeune femme a posé ses valises à Paris en 2015, dans le cadre du programme  « Compétences & Talents ». Vêtue d’un kimono beige, elle nous reçoit chez […]

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Une invitation au voyage… Mika Yamada est une artiste en broderie à la main japonaise. Originaire de la ville de Sagamihara, à quelques kilomètres au sud-ouest de Tokyo, la jeune femme a posé ses valises à Paris en 2015, dans le cadre du programme  « Compétences & Talents ». Vêtue d’un kimono beige, elle nous reçoit chez elle, un petit appartement du Ve arrondissement, aussi son atelier. Une rencontre hors du temps entre la France et le Japon.

Propos recueillis par Jérôme Pace

Hey Listen : Tu es diplômée de la prestigieuse Joshibijutsu Daigaku de Tokyo, une école d’art privée et réservée aux femmes. Nous en dirais-tu un peu plus sur ton parcours ?

Mika : Si je devais évoquer un peu mon itinéraire, je soulignerais d’abord un destin ! (rire) À dire vrai, j’ai toujours voulu être une artiste… Enfant déjà : dessiner, écrire, ou peindre, peu m’importait, je crois ! Mais là où mon cheminement est intéressant, c’est que je n’ai finalement trouvé ma voie que très tard, à l’occasion d’un atelier-découverte à l’université. Curieuse de nature, je me suis toujours essayée à beaucoup de choses, mais sans jamais pouvoir m’exprimer pleinement. C’est pourquoi j’aime tant mon parcours : quelle fin inattendue !

Après tant d’années de recherches, d’expérimentations… Qui eut cru que la broderie à la main deviendrait ma vie ? Ma rencontre avec le fil de soie fut une telle révélation : toutes ces couleurs – près de 400 ! –, ce touché si particulier… Et puis, ce travail du fil qui permet un tel détail, un tel relief : le jeu entre la staticité des points et le mouvement des compositions est tellement incroyable ! Je suis tombée amoureuse… Mon entrée à la Joshibijutsu Daigaku relevait dès lors de l’évidence.

Fils de soie
Photo : © Jérôme Pace.

Fils de soie et accessoires de broderie
Photo : © Jérôme Pace.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

HL : Une révélation à point nommé !

Mika : Assurément ! La broderie à la main est un art délicat, et donc total. Être brodeur, c’est aussi être visionnaire : chaque pièce étant unique, qui nécessite un investissement de temps considérable, rien ne peut être laissé au hasard. Toute composition est ainsi le fruit d’un long processus de réflexion : pour chacun de mes projets, je multiplie les dessins préparatoires, sur papier d’abord, en noir et blanc, puis en couleur ; sur le tissu, ensuite. Ce n’est donc qu’une fois la mise en scène fixée, que je puis m’atteler à la broderie proprement dite ! Ma première année de formation résume bien cette dimension de mon travail : pas de broderie, mais l’étude du dessin, du design, de la photographie…  

Mika Yamada, Dessin préparatoire « Carps » (30 x 30 x 13 cm),
Broderie sur boîte.
Photo : © Jérôme Pace.

Mika Yamada, Carps (30 x 30 x 13 cm),
Broderie sur boîte.
Photo : © Sasaki Hidetoyo.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Enfin, il ne faut pas oublier que la broderie est un artisanat ancien, traditionnel, en ce sens que ses techniques, ses méthodes, sont transmises de génération en génération depuis plusieurs siècles. Or, contrairement à l’imaginaire qu’elle véhicule, cette pratique est loin d’être figée ! Bien sûr, quand je restaure de vieux kimonos, par exemple, il y a des règles à suivre, une histoire à respecter. Mais quand il s’agit de création pure – artistique ! –, lorsque je compose un tableau, ma liberté est absolue. En particulier, sur le plan technique ! Innover est une véritable jouissance : j’aime explorer, tester de nouvelles choses, comme mettre au point de nouvelles méthodes ou associer des matières différentes. Un de mes rêves serait d’associer broderie et plumasserie ! 

Mika Yamada, Broderie sur kimono.
Photo : © Sasaki Hidetoyo.

Mika Yamada, Broderie sur kimono (détail).
Photo : © Sasaki Hidetoyo.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

HL : Tu évoques l’aspect artisanal et artistique de ta pratique. Cependant, tu te définis comme une « artiste en broderie », non une artisane : est-ce là le prix de ta liberté ?   

Mika : Répondre à cette question est difficile… Car que je fasse de la restauration ou de la création, ma pratique sera toujours artisanale : je perpétue un savoir-faire ancien. Aussi, ma liberté est-elle avant tout une affaire de perspective ! Comme tout le monde, j’ai longtemps pensé la broderie comme de la simple décoration : de vêtements, de linges, ou encore de petits objets, eux-mêmes décoratifs… En somme, une vision limitée, avec pour seul horizon une répétition très ordonnée d’une technique de travail traditionnelle.

Or, un jour que je visitais le musée National de Tokyo, le Tōkyō kokuritsu hakubutsukan, je suis tombée sur un grand panneau brodé. Une vraie surprise ! Mais surtout, un sentiment incroyable… Tout d’un coup, je prenais conscience que je pouvais créer quelque chose de différent, quelque chose qui n’appartiendrait qu’à moi. Ma liberté n’est pas autre chose : elle est surtout ma capacité à créer mon propre univers et à le partager.

Mika Yamada, Moss Garden M50 (116 x 73 cm),
Tableau en broderie.
Photo : © Sasaki Hidetoyo.

Mika Yamada, Iris F25 (81 x 65 cm),
Tableau en broderie.
Photo : © Sasaki Hidetoyo.

HL : D’où la centralité de la nature dans tes compositions…

Mika : En effet ! Il s’agit pour moi de revisiter un thème essentiel de l’art et l’artisanat japonais. Au-delà de sa beauté intrinsèque – une source d’inspiration infinie ! (rire) – la nature nous révèle et nous confronte à notre mortalité. Ainsi que nous le rappelle le cycle des saisons, il y a bien sûr le temps qui passe : qui que nous soyons, notre limite biologique est une certitude. Mais la nature peut aussi être violente et destructrice ! L’histoire du Japon est émaillée de nombreuses catastrophes naturelles : tremblements de terre, tsunamis, typhons ou encore éruptions volcaniques… Ces traumatismes – le dernier en date, Fukushima, ne serait être qu’un exemple parmi d’autres – ont forgé, au fil des siècles, la mentalité et la vie des Japonais qui ont appris à accepter ses vicissitudes et la fragilité de la vie. Mon travail est aussi cela : l’expression d’un sentiment éphémère.

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Mika Yamada, Shore Crab F50 (130x 89 cm),
Tableau en broderie.
Photo : © Sasaki Hidetoyo

 

Mika Yamada, Shore Crab F50 (130x 89 cm ; détail),
Tableau en broderie.
Photo : © Sasaki Hidetoyo.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

HL : Tu as reçu de nombreux prix au Japon. Pourquoi avoir quitté l’archipel ?

Mika : Pour beaucoup de raisons ! (rire) Une première serait que la broderie à la main japonaise disparaît progressivement, remplacée par une broderie mécanisée, moins chère et plus rapide d’exécution. Les mentalités ont évolué : bien sûr, certains musées ou particuliers recherchent encore, dans le cadre de restaurations de vêtements anciens ou de décorations de tissus de cérémonie, des artisans maîtrisant les techniques de la broderie à la main traditionnelle, mais la demande diminue chaque année davantage.

Ensuite, je dirais qu’il est difficile pour un jeune artiste de s’affirmer au Japon. Les Japonais privilégient l’expérience, pour ne pas dire l’ancienneté : un artiste qui débute n’est ainsi pas vraiment un artiste! (sourire) Si je rêve de faire toute ma carrière en France, beaucoup de Japonais ont, depuis le début du XXe siècle, tenté leur chance à l’étranger avant de revenir au Japon, seul moyen parfois de bouleverser l’ordre établi. J’ai d’ailleurs été très étonnée de la confiance des Français lors de mon arrivée à Paris : je n’étais pas connue ; pourtant j’ai pu exposer très vite, chose qui m’était impossible sur l’archipel.

Enfin, une troisième raison serait ma curiosité ! (rire) Je fais ce métier depuis presque quinze ans… Il était temps de découvrir autre chose, de me mettre en danger. Et puis, la France parle tant aux Japonais. Votre culture, votre art, tout est si différent et en même temps si proche. J’ai beaucoup mûri ici : j’ai appris à communiquer, à échanger, à m’affirmer. Et cela se ressent dans mon travail et mes aspirations. Il y a tant à explorer…  je ne me fixe plus de limites ! J’aimerais beaucoup, par exemple, créer ma propre marque de vêtements. Cela peut paraître bête, mais cette idée que ma broderie n’est pas réservée aux seuls kimonos, mais peut aussi être transposée sur des vêtements de type « occidental », je n’aurais jamais pu l’avoir en restant au Japon. De même, je brode aujourd’hui beaucoup sur papier, une matière dont la symbolique est très forte pour les Japonais. Mais là encore, des codes bien particuliers marquent son travail. Mon idée est cependant de proposer d’autres voies ou formes d’expression. Par le jeu de la broderie et de la profondeur, je crée, dans des petites boîtes, de véritables mises en scène, chacune exprimant une atmosphère, un sentiment singulier. Broder en trois dimensions est un défi passionnant.

Mika Yamada, Dragonfly (30 x 30 x13 cm),
Broderie sur boîte.
Photo : © Sasaki Hidetoyo.

Le site de l’artiste : https://www.mika-embroidery.com/

Couverture : Mika Yamada / Photo © Jérôme Pace.

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Isabelle Fauve-Piot, la sculpture de l’être en devenir /isabelle-fauve-piot-entretien /isabelle-fauve-piot-entretien#respond Mon, 29 Jan 2018 11:00:17 +0000 /?p=2822 C’est lors d’une matinée pluvieuse, à Saint-Remy-lès-Chevreuse, que j’ai rencontré Isabelle. En combinaison de travail, portant un casque de soudure, en pleine création à mon arrivée. Nous nous sommes donc installées au fond de son atelier, assez grand pour contenir toutes ses sculptures, afin d’échanger. Hey Listen : tu n’as pas un parcours comme les […]

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C’est lors d’une matinée pluvieuse, à Saint-Remy-lès-Chevreuse, que j’ai rencontré Isabelle. En combinaison de travail, portant un casque de soudure, en pleine création à mon arrivée. Nous nous sommes donc installées au fond de son atelier, assez grand pour contenir toutes ses sculptures, afin d’échanger.

Hey Listen : tu n’as pas un parcours comme les autres, plus scientifique, pourrais-tu nous le présenter en quelques mots ?

Vue d’atelier, Danseuse, Isabelle Fauve-Piot.
Crédit photographique : Manon Raoul

Isabelle : j’ai un parcours un peu atypique, car j’étais très bonne en mathématiques, et même si l’idée de faire les Beaux-Arts était en moi, il n’était pas spécialement question de faire un cursus artistique dans ma famille. Cela paraissait trop particulier, voire “extraterrestre”, que d’aller faire les Beaux-Arts à l’époque, et comme j’étais naturellement à l’aise avec les mathématiques, j’ai fait Maths-Sup, Maths-Spé et je suis rentrée à l’École Centrale de Lyon. À l’époque, lorsque tu sortais de Centrale, le travail, il y en avait ! J’ai donc facilement trouvé, mais très vite, je me suis dit “mais qu’est-ce que je fais là ?” Sauf que, j’étais jeune, amoureuse, et je me suis mariée. J’ai eu des enfants.. Mais cela ne me nourrissait pas “intellectuellement parlant” et je suis donc partie.

En 2009, j’ai fait toute une année de formation en céramique, et là, je me suis dit que mon chemin n’était pas du tout d’être ingénieur, mais que c’était l’art. Très technique, la formation m’a permis de travailler la terre et a été très enrichissante. Suite à cela, l’année suivante, j’ai intégré l’École des Beaux-Arts de Versailles où j’ai refait le cursus entier, car j’avais besoin de me déconditionner de 15 ou 20 ans de fonctionnement de type ingénieur. J’ai donc rencontré de nombreuses personnes, vu des expositions et surtout beaucoup lu, afin de comprendre ce qui m’animait au plus profond.

Ce parcours à l’École des Beaux-Arts a vraiment été formidable pour moi, j’ai beaucoup appris sur moi-même. Généralement, on dit aux élèves de produire beaucoup au départ, sans réfléchir, puis, dans un second temps, d’observer ce qui en ressort. Personnellement, je n’étais pas du tout dans cette démarche-là, j’ai, encore une fois, beaucoup lu, et, ayant une formation scientifique, je me suis intéressée à l’infiniment petit, l’infiniment grand, des livres d’astrophysiciens, de physiciens, de philosophes autour de la matière, etc. Et par-dessus, j’y ai ajouté mon parcours personnel, car j’ai fait un burn-out en 2004, il a donc fallu que je me reconstruise ensuite. Je suis donc partie sur “qu’est-ce que c’est que d’être”, “la conscience d’être, qu’est-ce que cela veut dire”, “qu’est-ce qui est important”, etc.

J’ai produit des choses, j’amenais peu de choses, mais mes jurys se passaient souvent bien, car, comme toutes mes recherches s’accompagnaient de lectures, d’analyses, de notes, de résumés, de livres mis en regard les uns avec les autres, il y avait tout un processus. C’est en fin de troisième année, où, tout d’un coup, j’ai vu cette histoire de vibration, le vide, l’énergie du vide, que le vide est à la base de la matière, qu’il est l’absence et la matière la présence. Je me disais, “il n’y aurait presque rien, et en même temps, presque tout !”.

Tout d’un coup, un jour, j’ai vu une tête en métal toute fine et je me suis dit “Voilà ! C’est ça qu’il faut que je fasse !”, sauf que je ne savais pas souder, que je ne savais pas où l’on achetait de l’acier. J’ai réalisé une première tête en métal et il a fallu tout apprendre sur le tas, ce qui a été très fastidieux, en faisant de grands croquis à échelle 1 de tous les côtés, pour voir comment j’allais faire.

Isabelle Fauve-Piot, Conscience, vue d’exposition en Sologne.
Crédit photographique : Isabelle Fauve-Piot

HL : comment procèdes-tu pour souder ? Utilises-tu les services d’une entreprise ?

Isabelle : au départ, lorsque j’étais aux Beaux-Arts, je soudais dehors dans le froid car l’école n’avait pas d’atelier dédié, et mes amis m’amenaient des cafés pour me tenir chaud ! J’en ai eu rapidement marre et j’ai donc eu mon premier atelier dans la résidence d’artistes TDF aux Molières, près de Limours, qui faisait 12m2. L’histoire a commencé comme ça ! Comme j’étais au départ céramiste, j’aimais beaucoup le feu et j’ai donc proposé pour mon diplôme un travail autour du feu avec des œuvres tant en terre qu’en acier.

Je réalise donc mes sculptures moi-même, mais pour les galvaniser, j’ai besoin de l’aide d’une entreprise spécialisée. L’acier est un métal qui s’oxyde, y compris dans une maison, c’est certes plus long, mais cela s’oxyde tout de même. Je me suis donc posé la question du traitement de mes sculptures : je peux ne pas en faire et accepter la rouille et les aléas du temps avec des morceaux qui peuvent tomber un jour, ou les traiter pour les protéger.

Il y a différents traitements possibles, certains très faciles à appliquer comme le Rustol ou un vernis que j’utilise pour les sculptures d’intérieur, car cela protège un peu et c’est suffisant pour des sculptures restant en intérieur. La galvanisation, quant à elle, est le seul procédé qui protège pour au minimum 30 ans l’acier. Une couche de zinc pénètre directement l’acier, et au bout de 30 ans, tu peux le dézinguer et recommencer.

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Il existe deux méthodes pour galvaniser une production : une à froid où l’application se fait directement au pinceau, mais ce n’est pas le procédé de base et cela ne protège pas longtemps ; et le procédé à chaud, dans d’immenses installations où la sculpture passe dans tout un champ de préparations où elle est nettoyée par des produits chimiques pour finir dans un bain de zinc en fusion à 450°C pendant 10 minutes, et là, ça ne bouge plus.

L’entreprise avec laquelle je travaille s’appelle Galva Union, j’ai galvanisé deux de mes pièces avec eux, plus une création les concernant, L’humain au cœur de l’entreprise. C’est un sujet qu’il m’intéresse de développer, car toutes les entreprises prônent l’idée de l’humain au cœur de l’entreprise, or ce n’est pas forcément le cas. J’aime l’idée que des sculptures mettent en avant cette idée prometteuse. Galva Union m’a ainsi demandé une sculpture de ce type que j’ai réalisé en intégrant une tête en 3D dans leur logo en 2D.

HL : de quoi as-tu besoin pour réaliser tes sculptures ?

Isabelle : j’achète des tiges d’acier qui font trois mètres de long de différents diamètres : 3, 4, 5, jusque 14 mm. Elles me servent à réaliser les sculptures. Et je commande aussi des plaques pour le socle de l’œuvre, et c’est d’ailleurs à partir de cette plaque au sol que je commence à créer.

HL : tu as trois thématiques dans tes sculptures : “Conscience de l’être”, “Introspection” et “Les messagers”. Travailles-tu encore sur les trois ?

Isabelle : “Les messagers” sont issus de ma formation de céramiste, tout comme “Introspection”. Ils ont démarré à cette période. Tandis que toute la partie de mon travail en acier, “Conscience de l’être”, est née pendant ma période aux Beaux-Arts.

Il m’arrive encore parfois de travailler sur mes premières thématiques, par exemple avec “Les messagers”.Je collabore depuis deux ans avec un compositeur de musique électro-acoustique, Charles Platel. Nous allons travailler autour des “Messagers” pour créer un environnement sonore adapté. Mais en dehors de ce projet, je n’en réalise plus.

A l’époque des « Messagers », je ne travaillais pas l’acier et j’ai fait réaliser la partie métallique de ces sculptures par un ferronnier d’art. Depuis mon diplôme aux Beaux-Arts en 2014, je suis à temps plein sur mes sculptures. Je me suis focalisée sur l’acier et j’ai ainsi réalisé plusieurs grandes pièces. L’acier est plus original, plus léger. Avec la terre, c’est compliqué de donner l’idée de la vibration et les grandes pièces sont lourdes. L’acier correspond vraiment à ce que j’ai envie de transmettre : une forme de fragilité, de présence et de vibration.

HL : tes sculptures sont donc possiblement exposées en extérieur, y a-t’il un lien avec la nature ?

Isabelle : oui, certaines comme Conscience qui a été exposée à la Biennale de Sculpture Monumentale de Sologne, et Vibration. L’idée de plus en plus présente dans mon travail, est de représenter un être en devenir. Je considère que l’on apprend toute la vie. Il est donc intéressant de retrouver l’analogie entre un végétal qui pousse et un être qui grandit au fur et à mesure de ses expériences. La sculpture est alors une représentation des racines d’un végétal qui pousse, ayant encore des branches en formation. J’aime associer le végétal, le minéral et l’humain.

HL : te représentes-tu au travers de tes sculptures ? Est-ce toi qui grandis ?

Isabelle Fauve-Piot dans son atelier.
Crédit photographique : Manon Raoul

Isabelle : totalement. J’ai énormément changé depuis 10 ans. C’est comme devenir soi-même. J’ai aujourd’hui 49 ans, et j’ai tout de même fonctionné durant 20 ans sur ce que je pensais être vraiment bien, je pensais que c’était ce qu’il fallait faire et j’étais très reconnue dans ma vie professionnelle.

Les codes sociétaux et familiaux que je m’imaginais étaient ceux que l’on m’avait inculqués étant petite. Or, je me suis rendu compte à un moment donné que ma nature profonde n’était pas en cohérence avec ça. Je me suis alors dit : je passe à côté de ma vie ! Même si ma réussite sociale était bien plus éclatante hier qu’aujourd’hui, il y a un gros décalage entre une réussite vu de l’extérieur et un ressenti intérieur. Je me disais “je suis à côté de la plaque”, je suis donc repartie de zéro et je me suis découverte petit à petit. On se rend compte que la vie est faite d’une succession d’expériences.

En ce qui me concerne, ce vers quoi je dois aller, c’est parfois clair et parfois non. Je peux tourner en rond pendant deux, trois semaines autour d’une sculpture et rien ne vient, donc ce n’est pas la peine de souder, et puis d’un coup, l’idée est là et c’est d’une grande précision. Anima, c’était ça pendant six mois ! J’avais déjà fait une grande tête de cheval et j’avais envie d’en faire un du sabot jusqu’aux oreilles, mais ça ne venait pas. Et d’un coup, ça y est, Anima était là ! J’ai alors acheté des livres sur les chevaux, j’ai fait des croquis, j’ai appelé mon quincaillier et le lendemain, 8h, j’étais là à souder, et ce pendant cinq mois !

HL : mais tes sculptures vibrent ! Est-ce assez solide ?

Isabelle : oui, effectivement, elles vibrent. Au départ, j’avais peur quand je les prenais en main, car cela bougeait beaucoup, et puis finalement, non, c’est assez solide ! Petit à petit, j’ai fait de moins en moins de dessins et repères dans l’espace sauf pour Conscience, car je l’ai proposé sur la base d’un croquis, étant un projet à la base. Mais maintenant je ne travaille plus vraiment ainsi. J’ai une bonne vision dans l’espace ! Et il faut être tenace, car c’est plusieurs mois de travail.

HL : quelles sont les étapes de réalisation de tes sculptures ?

Isabelle : il y a trois étapes. Tout d’abord, je réalise un volume dans vide, je pars de rien. C’est très fatigant, et c’est l’étape la plus difficile. Tant que je n’ai pas le rendu d’un volume qui me convient, je recommence. La complexité de mes sculptures, c’est que l’on peut tourner autour, donc on peut tout d’abord être satisfait puis, en se déplaçant autour, se rendre compte que cela ne va pas et recommencer. Ensuite, je retravaille tout pour le côté esthétique et j’enlève beaucoup de matière à ce moment-là.

Techniquement, au départ, il faut que tout tienne, mais à la fin, les éléments sont chaînés, donc je peux enlever au fur et à mesure des tiges. Il y a une sensation qui doit être présente, une résonnance. Et tant qu’elle n’est pas là, ce n’est pas fini. Enfin, la phase de finition : je vérifie toutes les soudures, je protège l’acier (galvanisation ou autre) et je réfléchis au transport.

Vue de l’aterlier d’Isabelle Fauve-Piot
Crédit photographique : Manon Raoul

HL : tes études d’ingénieur doivent t’être utiles ?

Isabelle : effectivement, Maths-Sup, Maths-Spé développent un état de concentration important et qu’il ne faut jamais lâcher. Je pars toujours du principe que cela va être possible. Cela peut être difficile, long, mais le lendemain matin, je suis là et je recommence. Je pense que cela vient de mes études, j’ai acquis cette capacité, ou je l’avais peut-être déjà en moi. Parfois j’en bave, mais une fois fini, je suis contente !

HL : quelles sont tes inspirations artistiques ?

Isabelle : il y en a plusieurs, comme Antony Gormley qui travaille sur l’espace qu’occupe le corps ; Jaume Plensa qui construit le corps humain par le langage en réalisant de grandes têtes avec des lettres ; Yves Klein avec l’idée du vide ; mais aussi des philosophes comme Gaston Bachelard, des astrophysiciens, etc.

Aujourd’hui, j’y pense moins. C’est toujours intéressant, mais on ne trouve pas son style. On est soi-même et il faut se détacher de ce que l’on voit de l’extérieur. C’est une phase indispensable que de parcourir un chemin intérieur pour trouver son art. Un artiste, c’est quelqu’un qui met ses tripes sur la table. On va au fond des choses, même si parfois cela remue beaucoup.

HL : quels conseils donnerais-tu à des jeunes souhaitant se lancer dans une carrière d’artiste ?

Isabelle : c’est difficile. C’est un métier de solitude, il ne faut pas avoir peur du “vide”, de soi et il ne faut compter que sur soi-même. En entreprise, tu ne te poses pas la question “que vais-je faire aujourd’hui ?” Alors qu’artiste, tu n’as personne derrière toi. C’est une grande responsabilité au niveau de soi-même, il faut se motiver seul.

Mais c’est un métier où tu fais de très belles rencontres, car les artistes sont des personnes très sensibles et très riches.

De nos jours, il faut aussi gagner sa vie. Dans un premier temps, il faut avoir un travail rémunérateur. Certains ont mis 20 ans pour en vivre, c’est compliqué. Mais lorsqu’on en ressent l’envie, il faut le faire. J’en ai eu envie à 18 ans et je n’ai pas osé, il a fallu que j’aie un burn-out pour remettre tout en question, ce que je ne souhaite à personne. Personnellement, je suis indépendante grâce à ma première vie professionnelle, c’est ça aujourd’hui qui me permet de me lancer dans des projets fous. Même si la société est ainsi, l’artiste ne doit pas produire pour vendre, sinon il se retrouve brimé dans sa création. Il ne faut pas y perdre son âme…

 

Le site internet de l’artiste : http://www.isabellefauvepiot.fr/

Vue de l’aterlier d’Isabelle Fauve-Piot
Crédit photographique : Manon Raoul

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ELO EDEN, l’illustrateur prometteur /elo-eden-lillustrateur-prometteur /elo-eden-lillustrateur-prometteur#respond Sun, 19 Nov 2017 14:39:46 +0000 /?p=2775 C’est à l’occasion d’une petite exposition sur le Batofar que Gaëlle a découvert les illustrations d’Elo Eden. Il a accepté de lui raconter ses débuts et de partager quelques conseils aux jeunes qui voudraient se lancer dans le métier ! Hey Listen : Quel a été ton parcours ? Elo Eden : J’ai commencé à dessiner à 3 ou […]

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C’est à l’occasion d’une petite exposition sur le Batofar que Gaëlle a découvert les illustrations d’Elo Eden. Il a accepté de lui raconter ses débuts et de partager quelques conseils aux jeunes qui voudraient se lancer dans le métier !

Hey Listen : Quel a été ton parcours ?

Elo Eden : J’ai commencé à dessiner à 3 ou 4 ans. Ma mère avait peu de moyens financiers, donc tout ce que j’avais, c’était des feuilles et un stylo. Je reproduisais ce que je voyais à la télévision.

J’ai fait un bac L option arts plastiques, puis je suis rentré à l’école Pivaut à Nantes, où j’ai suivi une formation de quatre ans avec une année préparatoire. Je voulais d’abord faire de la BD et finalement j’ai fait graphisme/illustration. Je suis ensuite parti sur Paris et j’ai commencé à mettre mes dessins sur Instagram et à avoir des followers. Maintenant, je crée mon site.

HL : Qu’est-ce que t’a apporté ta formation ?

EE : Souvent, quand les gens dessinent, ils recopient une image et cherchent simplement à la faire le mieux possible, sans chercher à développer une idée, sans intention derrière. L’école Pivaut nous incite à détruire ça, à détruire le modèle et à avoir notre propre style avec un fini cohérent.

Les profs étaient super : ils avaient la notion de la couleur, de l’espace… Ils savaient nous guider. Avant, je dessinais beaucoup au stylo bic, au crayon, à la mine de plomb. C’est en rentrant à l’école Pivaut que j’ai commencé à utiliser la couleur et l’aquarelle. Les profs ont vu que j’avais un style particulier, très coloré, alors que je partais du noir et blanc. Ils m’ont encouragé vers cette voie et le jury de fin de diplôme a trouvé ça super.

Et les élèves autour de moi avaient vraiment un bon niveau, c’était motivant.

 

HL : Ce n’est pas trop dur de sortir de l’école ensuite ?

EE : Si un peu. Au début, j’ai signé deux ou trois contrats de graphiste. Mais ce que j’aimais vraiment c’était l’illustration. Quitte à avoir un job alimentaire à côté. Pendant longtemps, j’ai réussi à vendre mes dessins et presque à en vivre. Maintenant, j’ai un boulot de vendeur.

J’ai commencé par les vendre sur Instagram, ensuite c’était par rencontres, par contact. Maintenant je vais le faire plus officiellement sur mon site, avec le statut d’auto-entrepeneur.

HL : Comment travailles-tu?

EE : Je travaille avec de la musique, seul. J’écoute Brigitte Mainler, Missy Eliot, Polo & Pan, Sebastian. Des choses entre la techno, la pop, la trap… des noms un peu bizarre qu’on donne à une musique parce qu’on ne sait pas dans quelle case la mettre. Lana del Rey, aussi.  

Je commence par me faire un bibliothèque d’images, puis à 14h je commence à bosser et je peux finis vers 2h du matin.

C’est dur d’être son propre patron. C’est comme quand tu commences à ranger, puis que tu vois une vidéo Youtube : tu passes à une autre, tu regardes des vidéos de chats et au bout de 3h, tu finis par te demander « qu’est-ce que je fais là ? ».

Très souvent, j’ai mon idée en tête et je commence à dessiner au bic. Je trouve ça assez sympa, tu peux moduler ton trait. A l’école, on nous a appris à ne pas gommer. Ensuite je mets la couleur, et enfin les lumières.

HL : Quelle est ton étape préférée dans la création ?

EE : Je suis rarement satisfait quand c’est abouti, mais j’adore l’étape du croquis. Je trouve mes croquis meilleurs que mes illustrations finies.

HL : A partir de quels modèles dessines-tu ?

EE : Ça peut être aussi bien à partir de photos, de modèles vivants… souvent, ce sont des amis ou des gens dans la rue qui m’inspirent. J’essaie de retenir leur visage en les fixant, même si je passe peut-être pour un psychopathe. J’utilise aussi des photos sur Facebook ou Instagram.

Je ne fais que des portraits. Peut-être que ça évoluera mais pour l’instant, je ne fais que ça.

 

HL : Est-ce que tu as cherché ton style ou il est venu naturellement ?

EE : C’est le problème le plus commun chez les illustrateurs : la peur de ne pas trouver son style. On voit un style qu’on aime bien et on se dit « je veux avoir le même ». Un peu comme quand on voit quelqu’un de beau dans la rue et qu’on veut lui ressembler. Mais même si on met les mêmes vêtements que lui, on aura pas les même traits, le même physique.

C’est en dessinant en essayant de ressembler à d’autres gens que je me suis rendu compte que j’avais un style à moi. Les gens autour reconnaissaient mon style. Donc j’ai arrêté de me prendre la tête à essayer de ressembler aux autres.

HL : Quels artistes t’inspirent ?

EE : Agnes Cecile m’inspire vraiment. Et Lana Del Rey, dans sa façon d’être, dans son univers, son image. J’écoute des rappeurs aussi, mon père écoutait du rap ou de la musique d’Afrique. J’aime bien quand les genres se mélangent.

HL : Tu as seulement 22 ans et tu arrives quasiment à vivre de ton travail. Est-ce que tu pensais y arriver ?

EE : Je ne me posais pas la question jusqu’à récemment. Parmi mes amis de Pivaut, les très bons ont signé dans des éditions, mais même eux ont du mal à en vivre.

Parfois je me dis que c’est un peu dur, que j’aurais pu être graphiste. Dans des maisons comme Dior par exemple. Ou j’aurais pu faire du droit ou faire une fac de langue et être tranquille. Mais finalement je ne suis pas scolaire, je déconnecte très vite. Donc je préfère faire des choses sympas et me dire que ça va peut-être se vendre.

HL : Avoir 22 ans quand on est illustrateur, c’est un atout ou un handicap ?

EE : C’est toujours positif dans l’esprit des gens. Mais il faut faire attention à ceux qui abusent de ta bonne volonté. Certains clients peuvent te proposer de faire une affiche pour eux en prétextant que ça te fera une affiche pour ton book. Mais tu ne demandes pas à un maçon de construire une maison pour son book, ça ne marche pas comme ça.

HL : Comment te vois-tu dans 10 ans ?

EE : Je me vois soit sur Paris soit à New York. J’aimerais beaucoup y aller. L’idée que j’en ai, c’est que les artistes ne viennent pas d’un héritage, ce ne sont pas des « fils de ». Les gens se font un nom par eux-même. Ou Paris, j’aime beaucoup. L’ambiance, les gens, même s’ils sont un peu grognons.

J’aimerais bien que mon site marche vraiment et que je puisse vendre grâce à ça. Travailler avec des galeries aussi, pour être représenté dans d’autres pays. En Allemagne, en Amérique.

Si pour une raison ou une autre tu n’aurais pas pu faire illustrateur, qu’aurais-tu fait ?

Si je n’avais pas eu cette passion pour le dessin, j’aurais été une autre personne. Mais sinon, j’aurais peut-être étudié l’univers. Ou j’aurais été infirmier.

Quels conseils donnerais-tu à un jeune qui veut être illustrateur ?

De faire ce qu’il aime, vraiment. Il faut oser faire ce que tu aimes, quoi qu’en dise ta famille, parce que ce que tu dessines, c’est ce que tu es.

Il y a des chemins plus facile qu’être illustrateur, donc surtout il faut pas déprimer quand les gens disent que ce n’est pas un vrai métier. Essayer de s’entourer de gens positifs, qui t’aident à survivre aux obstacles, qui sont de bons conseils et qui ont des contacts. Et ne pas se laisser entraîner par la folie de la jeunesse : lorsque tu vas en soirée pour t’amuser, tu n’es pas en train de dessiner.

Instagram

Site officiel

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Maur Cyriès, la musique sur les routes /maur-cyries-la-musique-sur-les-routes /maur-cyries-la-musique-sur-les-routes#respond Wed, 25 Oct 2017 13:28:57 +0000 /?p=2738 Rencontre avec Maur Cyriès, un jeune compositeur, chanteur et musicien au parcours atypique… Le jour commence tout juste à décliner sur la butte Montmartre. A la terrasse d’un café, Maur attend. De sa main gauche il tient un bouquin, de l’autre une cigarette sortie d’un étui en cuir. Sur son bras est encrée une pieuvre, […]

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Rencontre avec Maur Cyriès, un jeune compositeur, chanteur et musicien au parcours atypique…

Le jour commence tout juste à décliner sur la butte Montmartre. A la terrasse d’un café, Maur attend. De sa main gauche il tient un bouquin, de l’autre une cigarette sortie d’un étui en cuir. Sur son bras est encrée une pieuvre, reine des invertébrés. A sa gueule comme à son look, on devine qu’il s’agit d’un baroudeur.

Du haut de ses 26 ans, il a déjà parcouru un bon bout de chemin. Au sens propre comme au figuré, d’ailleurs. Très tôt, il s’engage dans une pratique musicale. A 3 ans, il tape sur tout ce qu’il a sous la main. Aujourd’hui, quand on écoute ce qu’il réalise lui-même de A à Z, on imagine le travail acharné qu’il a fourni les années passées. En revanche, difficile de deviner les péripéties que Maur a traversées avant d’atterrir ici, à la terrasse de ce café montmartrois.

Alors qu’il est en études de cinéma, Maur se fait percuter sur un passage piéton. Il a seulement 19 ans et il tombe dans un coma dont, heureusement, il sortira presque sans séquelle. Lors de son séjour à l’hôpital, il est entouré d’estropiés, de marginaux, de voyous couverts de cicatrices. Ces personnages le marquent et nourriront plus tard son inspiration.

En sortant de cette épreuve, le jeune homme se sent en profond décalage avec son environnement. Mais il est vivant, plus vivant que jamais. Il convainc son entourage de le laisser partir au Cambodge, fait ses valises et embarque seul dans cette aventure. C’est le début d’un périlleux voyage « initiatique ». Là-bas, il fuit tout ce qui lui est familier et qui le ramène à sa zone de confort. Il est assoiffé d’humanité, s’enrichit de chaque rencontre et de chaque nouvelle expérience, voyage avec l’esprit ouvert tel un reporter. Et surtout, il crée, compose, explore des univers sonores.

C’est à Paris qu’il est finalement venu s’installer pour mener à bien ses projets musicaux. Seul dans son appartement, il compose assidûment, surtout une fois la nuit tombée. Mais il aime aussi travailler de jour, pour tenter de cerner la subtilité de l’énergie solaire. Pour Maur, il y a quelque chose de transcendantal dans la création, comme si la mélodie venait à lui naturellement. L’inspiration, il la trouve dans la marche, dans l’action. Et lorsqu’il tient un jet créatif, il ne le lâche pas et s’y adonne pleinement, pendant 15h s’il le faut. Ensuite, il travaille la mélodie, l’affine, cherche sa forme aboutie.

Les univers qui nourrissent son inspiration sortent à la fois des films de Jim Jarmusch, des livres signés Paul Verlaine ou Jack London et des peintres symbolistes comme Gustave Moreau. Dans sa musique comme dans son identité graphique, Maur s’identifie au 19ème siècle. Pas à l’image que l’on en a généralement – Paris, de jour, en pleine révolution industrielle – mais plutôt au siècle des bandits, des voyous, celui de l’Europe du nord que l’on connaît mal. Le genre musical de Maur est tout à fait hybride. Tenter de l’étiqueter est voué à l’échec. Une sorte de rock alternatif sombre aux sonorités orientales, peut-être ? En tout cas, on s’imagine bien l’écouter de nuit. Soit dans une cave embrumée par des nuages de cigarettes, soit lors d’une promenade en solitaire sous la voie lactée.

 

 

Depuis ses débuts, Maur a beaucoup évolué. Il a commencé, comme tout le monde, par des cris du cœur, essentiels mais chaotiques. Et puis il a appris à structurer, à travailler d’une manière plus réfléchie et plus mesurée. S’il devait guider un jeune passionné, il lui conseillerait de développer son propre style, son identité et de ne pas chercher à se lier à une communauté ou à une tendance.

Jusqu’ici, Maur Cyriès a su tirer profit des aléas de la vie. La preuve en est que, malgré son jeune âge, son travail est extrêmement mature. S’il ne décide pas de devenir astronome ou ethnologue, il continuera sans doute sur cette voie encore longtemps. Et c’est tout ce qu’on lui souhaite.

 

 

Retrouvez Maur Cyriès sur Instagram, Soundcloud et son site officiel !

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Dans l’atelier de Sabatina Leccia /dans-latelier-de-sabatina-leccia /dans-latelier-de-sabatina-leccia#respond Tue, 19 Sep 2017 11:28:38 +0000 /?p=2611 Le site des Grands Voisins, dans le 14ème arrondissement de Paris, regorge d’espaces où les artistes viennent travailler, exposer, se rencontrer. L’artiste-brodeuse Sabatina Leccia a accepté de nous ouvrir les portes de son atelier pour nous faire découvrir son univers. Hey Listen : Qu’est-ce qui vous a amené à employer cette technique artistique qui mêle la […]

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Le site des Grands Voisins, dans le 14ème arrondissement de Paris, regorge d’espaces où les artistes viennent travailler, exposer, se rencontrer. L’artiste-brodeuse Sabatina Leccia a accepté de nous ouvrir les portes de son atelier pour nous faire découvrir son univers.

Hey Listen : Qu’est-ce qui vous a amené à employer cette technique artistique qui mêle la peinture et la broderie ?

Sabatina Leccia : Un jour j’étais dans la rue, ou peut-être dans les transports en commun. Dans mon sac, il y avait de l’encre et un tissus et, par accident, l’encre s’est renversée sur mon tissus. Quand je suis rentrée chez moi et que j’ai découvert ça, j’étais un peu dépitée. Mais à l’époque, je brodais déjà et, très vite, je me suis dit « finalement, elle est pas mal cette tâche, je pourrais l’exploiter et broder dessus »… Tout est parti de là.

HL : Qu’est-ce qui vous plaît dans l’association de ces deux techniques ?

SL : Ce qui m’intéresse, c’est le côté imprévu. On ne peut jamais contrôler exactement la couleur, la forme que va prendre la tâche. Dans la broderie aussi, il y a quelque chose d’imprévu. Je ne fais jamais de dessin au préalable, je me laisse guider par mes intuitions. C’est ce qui donne des tableaux organiques

HL : Comment êtes-vous arrivée aux Grands Voisins ?

SL : C’était un coup de chance ! Je cherchais un atelier et Aude, avec qui je partage cet espace, m’a dit de postuler aux Grands Voisins. Mais quand j’ai envoyé mon dossier, c’était trop tard. Finalement Aude a eu un atelier plus grand que prévu et elle m’a proposé de le partager avec elle.

On est arrivées en avril 2016 mais il a fallu tout réaménager, puisqu’ici c’est un ancien laboratoire pour les souris. On a dû refaire la peinture, monter les étagères (qui sont en fait des bancs récupérés), bref tout installer.

HL : C’est important pour vous, d’être dans un environnement agréable?

SL : Oui, moi je trouve ça plus encore chouette qu’une résidence d’artistes. Parce qu’il n’y a pas que des artistes ici, il y a aussi des gens qui font de l’agriculture urbaine, des associations, des hébergés, tous ces gens d’univers différents qui se rencontrent. Ça nous amène nous-même vers d’autres horizons.

HL : Concrètement, qu’est-ce que vous faites dans votre atelier ?

SL : On fait tout. De l’administratif, beaucoup d’administratif… Aussi de la création, des recherches d’idées, on échange avec Aude ou avec d’autres personnes, on peut s’allier avec d’autres résidents pour monter des projets…

Comme l’ambiance est détendue et sereine, c’est un lieu de travail mais pas que. Ça peut être aussi un lieu de détente.

HL : Quelles sont pour vous les conditions idéales pour travailler ?

SL : J’aime bien les fins de journée, c’est plus calme puisque j’ai fini toutes les tâches administratives et que ça se calme sur le site des Grands Voisins. Il y a moins de bruit dans le couloir, la lumière est plus douce, il fait moins chaud.

HL : Avez-vous besoin de rituels pour vous mettre à travailler ?

SL : Non, généralement j’arrive et je m’y mets sans problème. Je suis quelqu’un d’assez disciplinée. Même quand je travaillais seule chez moi, une heure après être levée, je commençais à travailler. Ça m’angoisse de rester sans rien faire.

HL : Est-ce que vous travaillez en musique ou en silence ?

SL : J’aime bien travailler en musique, j’aime aussi le silence. Quand j’avais des grandes commandes de tableaux, j’écoutais beaucoup d’émissions. C’était génial parce que ça m’a appris pleins de choses que j’ai ensuite eu envie d’introduire dans mon travail.

HL : A quoi ressemble l’atelier idéal ?

SL : Plus de place, c’est toujours bien ! Je trouve ça agréable d’avoir des endroits qui ne sont pas saturés, pour pouvoir respirer et avoir l’esprit clair.

Parfois je me dis que l’atelier idéal est peut-être au milieu de la nature, dans la forêt. J’ai fait une résidence en Estonie et j’ai adoré. C’est un pays très calme, très en lien avec la nature. C’est agréable de créer dans de nouvelles conditions, je pense qu’on fait des choses différentes.

HL : L’agitation de Paris ne vous inspire pas particulièrement ?

SL : Je fais le contre-pieds, puisque quand je brode, c’est un moment très méditatif. Je pense que j’ai développé ça pour contraster avec l’extérieur. Peut-être que dans la forêt je ferais quelque chose de plus agité.

HL : Ça vous apaise de travailler de cette manière ?

SL : Oui, ça m’est arrivé de faire des journées entières de broderie. C’est dur de sortir et de voir les voitures, les gens excités, parce qu’on se déconnecte de la réalité.

Comme mon travail est très répétitif, ça me libère l’esprit. On est dans une action simple et calme donc ça fait venir pleins de choses, les idées, l’imagination…

C’est drôle, je donne des ateliers pour adultes le soir et, à la fin du cours, ils me disent « Je suis content, je vais bien dormir ce soir ». Ça les apaise.

HL : Quand les idées vous viennent-elles ?

SL : Ça peut être n’importe quand. J’ai un carnet où je les note. J’aime bien avoir une trace.

Trouver des idées, c’est un travail constant mais pas fatiguant, c’est quelque chose qui t’habite. Ça fait partie de ton être donc tu y penses tout le temps…


Le site officiel de l’artiste : http://www.sabatinaleccia.com/

Pour vous initier à la broderie artistique avec Sabatina Leccia :

Chez Flanelle, atelier de styliste
24, rue de Montreuil – 11e
07 64 09 86 97
www.atelier-de-styliste.com

 

Le Poisson Bleu

19 Rue Ternaux, 75011 Paris

06 16 98 10 64

https://www.lepoissonbleu.info/

 

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